J’espère que vous avez trouvé le blog Turning Stones intéressant cette année. A ce stade, deux interrogations me semblent essentielles : l’année 2021 a-t-elle été le théâtre d’un changement sismique sous-estimé dans le domaine ESG ? Quel segment faudra-t-il surveiller en priorité en 2022 ?
2021 – Les États-Unis se penchent sur la question
Selon moi, l’intérêt inédit des investisseurs américains classiques pour les normes ESG a constitué un changement sismique largement ignoré. Pourquoi s’agit-il d’un changement sismique ? Compte tenu de la taille du marché américain et de son mode d’intervention – via les actionnaires de contrôle en private equity et le marché boursier –, ses investisseurs pourraient avoir une approche ESG différente de celle déjà adoptée par les Européens. Contrairement à ce que l’on observe au sein de l’UE, il est peu probable que l’approche américaine soit dictée par la réglementation. En outre, les Américains (qui ont moins de programmes sociaux) comptent davantage sur la performance de l’épargne-retraite que les Européens. Dans le monde anglo-saxon, l’approche ESG est ainsi plus motivée par l’intérêt mutuel que par l’altruisme. Des exemples tels que les efforts de quantification des impacts, en matière de changement climatique et de biodiversité, permettent de mieux cerner l’ampleur des risques auxquels sont confrontés les actionnaires. Ces évaluations sont précieuses.
L’approche américaine devrait rester bottom-up et se concentrer sur l’actionnariat actif par le biais de l’engagement et de votes alignés. Les styles américain et européen sont tous deux sources de valeur. L’approche top-down européenne, axée sur les notations et encouragée par la réglementation relative à la fixation de seuils, oriente les fonds vers les entreprises les mieux gérées. Elle joue un rôle incitatif pour les dirigeants des entreprises qui souhaitent accroître leur poids dans les indices de référence et les ETF bénéficiant de notations ESG. L’approche bottom-up, en revanche, alimente le débat entre les investisseurs et les dirigeants sur les changements à mettre en œuvre.
La démarche consistant à séparer l’actionnariat de l’engagement et de l’activité de vote m’a toujours semblé incomplète. Fissurant la relation humaine cruciale entre le propriétaire (l’actionnaire) et la direction (l’entreprise), elle érode la confiance. Or la marge de manœuvre qu’autorise une relation de confiance est vitale dans un partenariat commercial sain. Par exemple, la confiance accumulée donne plus de poids aux préoccupations d’un investisseur. En contrepartie, les entreprises bénéficient d’une marge de manœuvre accrue, tant en termes d’investissement qu’en ce qui concerne les votes à l’assemblée générale annuelle.
Au vu de la tendance actuelle, les enjeux ESG – nouveaux ou déjà identifiés – exerceront une pression croissante sur les décideurs en 2022. Par conséquent, les nouveaux défis ESG gagneront en visibilité, tandis que les investisseurs seront attentifs aux coûts induits pour les entreprises à la traîne.
2022 – De nouveaux ensembles de données peuvent surprendre
Selon moi, l’influence accrue des facteurs ESG sur les investisseurs reposera sur de nouvelles données associant les enjeux macroéconomiques aux entreprises individuelles. Les données concernant la biodiversité en feront incontestablement partie. L’adoption d’une nouvelle loi dans un seul pays – la France – a fait émerger de nouveaux cadres permettant d’identifier les industries et les entreprises liées à des problèmes évoqués depuis de nombreuses années. La biodiversité concerne avant tout la consommation humaine – nourriture, boisson, vêtements, etc. Plus la population augmente et s’enrichit, plus nous consommons. Après plusieurs décennies de hausse des rendements agricoles, nous avons atteint la limite de régénération de la planète. Une analyse approfondie des données ouvre cependant des perspectives insoupçonnées. Exemple : nous gaspillons près d’un tiers de la nourriture produite chaque année ! À l’avenir, l’agriculture régénératrice, l’éducation des consommateurs et l’augmentation de la réfrigération dans les grandes économies de marché émergentes empêcheront les aliments de pourrir avant d’atteindre le consommateur. Pour en savoir plus, veuillez consulter le blog « La biodiversité en péril ».
D’autres données seront bientôt disponibles. Pour ma part, j’attends avec impatience celles qui fourniront un meilleur aperçu de la diversité dans les rangs des entreprises – non seulement au Conseil d’administration, mais dans l’ensemble de l’entreprise. L’identification et l’élimination des obstacles à la promotion au mérite pourraient apporter une valeur significative aux entreprises qui misent sur l’innovation, notamment dans les technologies de l’information et les soins de santé. Les performances de ces secteurs au cours des dix dernières années soulignent l’importance de l’enjeu que représente la création de valeur reposant sur le capital humain plutôt que sur les immobilisations.
Nous traversons une période passionnante pour la gestion active – où nous pouvons faire la différence. Sur certains segments de marché, les gérants conformistes continuent de faire la loi. Mais rien ne permet de dire qu’une approche ESG fondée sur des formules générera des normes plus exigeantes. Les gérants actifs auront de nombreuses occasions de prouver leur valeur dans l’arène.
Par Sudhir Roc-Sennett, Head of Thought Leadership & ESG Quality Growth Boutique
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