De retour du Brésil, quelques réflexions autour de récents développements climatiques locaux, leur impact sur les activités d’un groupe français et ce que ces éléments laissent transparaître du traitement des problématiques ESG par nos sociétés.
Entreprise citée : Vallourec
En ces premiers jours de 2022 où, ici comme ailleurs il est de bon ton de débattre des mérites de la parabole cinématographique d’Adam McKay, « Don’t look up, déni cosmique », l’actualité brésilienne a, bien malheureusement, résonné de terribles échos à son propos de dénonciation de l’attitude de nos sociétés face à la crise climatique et environnementale.
Confirmant les prévisions du GIEC sur la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes et l’urgence climatique, une large part du territoire brésilien (Nord Est, Centre Ouest et Sud Est) est balayée depuis les dernières semaines de 2021 par des pluies diluviennes coïncidentes avec un phénomène de refroidissement anormal des eaux équatoriales de surface du Pacifique communément appelé La Niña) aux conséquences dramatiques (rien que dans l’Etat de Bahia, ⅓ des municipalités en avaient subi des conséquences au tournant de l’année, certaines étant totalement emportées par les eaux). Et ce après avoir connu plus tôt dans l’année la pire sécheresse de son histoire récente (Sud Est).
Mais plutôt que de nous attarder ici sur les réponses apportées par les autorités publiques à ces évènements, arrêtons-nous ici sur une des conséquences immédiates de ces pluies pour un émetteur bien connu des investisseurs obligataires européens – Vallourec.
En effet, l’intensité actuelle des pluies a provoqué le 8 janvier dernier le débordement d’une digue d’écoulement de la mine de fer de Pau Branco (Nova Lima, Minas Gerais) détenue par le spécialiste des solutions tubulaires sans soudure français. Et même si pour l’heure cet incident ne semble pas remettre en cause la solidité structurelle du barrage de stériles de la mine, dans un Etat traumatisé à de multiples reprises par des ruptures de barrages miniers en 2019 notamment, la rupture du barrage de la mine de Brumadinho avait entraîné la mort de 270 personnes et la mise en accusation de Vale pour crimes contre l’environnement, il n’est pas resté sans conséquences judiciaires et administratives.
Outre la suspension des activités de la mine en attente que soit notamment apportée la preuve de la stabilité de l’ensemble de ses infrastructures ordonnée par la justice du Minas Gerais conformément à une requête du Ministère public de l’Etat le jour même (charge étant laissée à la société de mettre en œuvre toutes les mesures correctives propres à assurer cette stabilité sous peine d’amende journalière), des associations ont initié une action civile en justice le 10 janvier demandant le blocage des comptes locaux de l’entreprise afin que puisse être garanti le paiement d’éventuels dommages et intérêts qu’elle pourrait être amenée à verser, soit à des personnes déplacées, soit au titre des dégâts environnementaux causés par ce débordement. Dégâts qui ont par ailleurs valu au groupe de se voir notifier par les autorités de l’Etat du Minas Gerais, une amende de R$288,6m (soit EUR45m).
Et s’il est évidemment possible de balayer d’un effet de manche ces différentes actions civiles ou d’arguer que ce débordement de digue constitue pour l’heure un évènement relativement mineur, largement impondérable, il ne nous en paraît pas moins emblématique.
Emblématique des risques physiques que les phénomènes climatiques extrêmes font peser, non seulement sur les activités d’un nombre croissant d’entreprises, mais sur l’ensemble de nos sociétés (directement comme indirectement). Emblématique surtout, à plus d’un titre, de nos biais comportementaux autant que des limites des approches ESG classiques.
De ces biais comportementaux qui nous conduisent collectivement à ignorer, pour faire face à un afflux d’informations structurellement inassimilable, tout événement jugé mineur (ce débordement n’a pour l’heure causé aucune victime) ou trop lointain, au profit d’événements plus sensationnels et plus proches, de la même façon que nous nous désintéressons assez largement du fait que le retraitement de nos déchets puisse se traduire par leur expédition pour « recyclage » à l’autre bout de la planète. L’apaisement de nos consciences par rapport aux enjeux environnementaux peut bien justifier quelques accommodements…
Et les limites de bien des approches ESG actuelles n’en sont qu’un autre exemple. On pourra notamment relever que les risques physiques qui nous occupent ici constituent un risque croissant pour les entreprises, leur prise en compte dans les analyses extra-financières reste encore trop limité (en partie au moins par manque d’approche méthodologique pleinement satisfaisante).
Mais le problème est plus vaste. Quelles que soient sa gravité et l’ampleur de ses conséquences, l’incident relevé à la mine de Pau Branco ne peut que poser question d’autant plus d’ailleurs qu’il semblerait, au-delà de la stabilité d’ensemble des infrastructures actuelles de Vallourec sur ce site, qu’une inspection des autorités minières fédérales sur le site en avril dernier avait relevé un certain nombre d’irrégularités et de manquements sur son barrage de stériles, dont le Ministère public du Minas Gerais doute qu’elles aient été dûment corrigées depuis (l’amende infligée le 11 janvier 2022 au groupe a d’ailleurs été fixée au maximum légal, les autorités ayant considéré qu’il avait déjà par le passé, manqué à ses obligations administratives en la matière).
Car Vallourec, comme tant d’autres, affiche de grandes ambitions en matière extra-financières (cf. notamment l’article Vallourec : des tubes verts et des efforts ESG tous azimuts paru le 25/11/21 dans le supplément investir des Echos), ambitions d’ailleurs largement saluées, le groupe pouvant déjà se prévaloir du titre « d’ESG Top Performer » décerné par Hart Energy, d’une position de leader en termes d’émission carbone et d’une des meilleures notations ESG de son secteur, se situant dans le Top 3 de son industrie au global et sur le pilier Environnement selon les études d’une des principales agences d’études extra-financières. Un satisfecit suffisant pour annihiler la réalité de ces risques physiques actuels pour le marché, pour autant qu’ils ne se matérialisent pas dans leur réalité la plus effrayante de fait, la trajectoire des instruments de dette du groupe (que nous ne détenons pas dans nos portefeuilles) n’a pour l’heure subi aucun impact lié à cet incident (ne sera-t-il pas temps de s’en préoccuper lorsque la situation aura dégénéré ?)
Que l’on nous comprenne bien. Loin de nous l’idée d’invalider tous les efforts réalisés par les entreprises et les sociétés d’investissement en matière de RSE et d’intégration ESG. Loin de nous également l’idée de clouer au pilori un groupe parmi d’autres, sachant qu’il y a tout lieu de penser qu’il y a bien pire dans l’affichage d’étendards d’honorabilité que cette entreprise particulière.
Mais les événements climatiques brésiliens que nous avons évoqués ici, nous ont rappelés à quelques réalités, qui toutes concourent à aborder ces questions avec prudence, circonspection et humilité.
Prudence dans la mesure où les efforts affichés par les entreprises et sociétés de gestion en matière d’ESG emportent tous une dimension marketing, chacun cherchant à montrer qu’il a pris plus que ses pairs la mesure des enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux contemporains. Circonspection dans la mesure où cet affichage repose très largement sur une communication volontaire d’éléments, sinon toujours qualitatifs, du moins insuffisamment normés, propres à ouvrir de larges champs d’interprétation.
Humilité enfin, non seulement parce que la réponse apportée par chacun d’entre nous, particulier, autorités publiques, entreprise ou société de gestion à ces enjeux contemporains ne saurait par essence, n’être qu’imparfaite, biaisée et limitée, mais encore parce que la quantité d’information extra-financière à analyser pour adresser l’ensemble du champ couvert par les problématiques ESG, rend l’exercice structurellement impossible.
Au moment où nous entrons dans une première phase finale d’intégration de critères ESG à la gestion obligataire d’OCTO AM, nous tenons à le faire avec cette prudence et cette humilité à l’esprit.
Non, nous ne résoudrons pas les problématiques du siècle au travers de notre seule politique ESG. Oui notre positionnement ESG restera critiquable, à plus d’un titre. Oui, la méthodologie que nous déployons progressivement sur l’ensemble de nos fonds et que nous vous présenterons plus en détails dans une publication dédiée, est partielle, partiale et structurellement susceptible d’évoluer en même temps que l’état des connaissances et des méthodes applicables à l’ensemble du champ de l’ESG. Et oui, nous resterons nous aussi largement dépendants des efforts de collecte d’information de tiers, la matière étant bien trop large pour que nous puissions avoir la prétention de l’approcher entièrement par nous-mêmes.
Mais nous nous efforcerons d’améliorer et d’enrichir encore notre appréhension de la Value de long terme des émetteurs et de leurs titres au travers de notre travail sur ce champ particulier de l’ESG. Avec l’humilité particulière que cet exercice impose…
Par Mathieu Cron, gérant obligataire, OCTO AM
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