Quatre ans après l’adoption par la Commission européenne du plan d’action pour une finance durable, et plus d’un an après l’entrée en vigueur de la première phase du Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR), quel bilan pouvons-nous en tirer ? Alors que nous sommes en plein milieu de la mise en œuvre de la deuxième phase, comment cette réglementation a-t-elle affecté le secteur de la gestion d’actifs jusqu’à présent ? Quels obstacles restent à franchir ? Cette réglementation soutient-elle, ou entrave-t-elle, notre capacité à gérer les actifs de manière durable ?
Points clés
• La réglementation vise à financer la croissance durable et à atteindre les objectifs de Paris
• Il n’existe toujours pas de définition claire de ce qui constitue un investissement durable
• Il est important d’équilibrer les objectifs de durabilité et les performances d’investissement
De l’intégration ESG à l’impact investing
Commençons par les points positifs. Dans la mesure où elle est destinée à financer la croissance durable en vue d’atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris, cette réglementation cherche à créer un impact positif. Alors que l’intégration des critères ESG (réalisée pour des raisons purement financières) s’est généralisée ces deux dernières années, l’impact investing basé sur les opportunités ESG ne concerne encore trop souvent qu’une petite partie des portefeuilles d’investissement.
La « double matérialité » (effets financiers et sociétaux) évoquée dans la réglementation nécessite que l’industrie réfléchisse davantage à l’incidence qu’ont toutes ses activités sur le monde réel. Elle exige aussi de faire plus d’efforts pour montrer comment cette incidence sur le monde réel est obtenue. En tant qu'investisseurs dans des titres cotés en bourse, il est toutefois très difficile de démontrer cet impact.
En outre, il y a quelques années, les restrictions en matière d’ESG, d’émissions carbone et d’investissement durable ont été communiquées aux clients, mais rarement incluses à la documentation officielle des fonds et aux contrats d’investissement. La réglementation veille à ce que les allégations des gérants en matière d’investissement durable correspondent à ce qu’ils mettent réellement en œuvre et à ce qu’ils incluent dans leur documentation juridique.
Sachant que toute modification d’un document juridique doit être dûment communiquée, la réglementation a donc accéléré l’intégration des considérations ESG dans les données et l’architecture informatique, les systèmes de trading et les processus de gestion des risques et de conformité. Les informations relatives à la durabilité sont enfin prises au sérieux !
Uniformiser les règles
En revanche, le SFDR semble avancer lentement en matière d’harmonisation des règles de l’investissement durable dans l’industrie de la gestion d’actifs. Cela crée un effet d’accélération : les gérants d’actifs actuellement à la pointe de l’investissement durable doivent continuer de trouver de nouveaux moyens de se démarquer, ce qui nécessite de faire des choix stratégiques et proactifs.
Nous pensons que les meilleurs de l’industrie donneront le ton et s’octroieront la plus grosse part du gâteau. Ils seront également plus en mesure d’attirer de jeunes talents, puisque les nouvelles générations sont plus sensibles à ces enjeux.
Toujours pas de définition claire de ce qui constitue un investissement durable
Voilà pour les aspects clairement positifs. Reste à savoir si la réglementation permet de mieux s’y retrouver dans les acronymes obscurs de la durabilité. Déterminer quelles activités économiques contribuent à quels objectifs de développement durable est une bonne idée, et à ce titre, la première partie de la taxonomie verte de l’UE et les indicateurs des principales incidences négatives semblent bien définis et sont logiques. Pour autant, moins de 5 % des activités économiques sont actuellement définies dans la taxonomie, et les données y afférant manquent toujours ou sont de qualité médiocre.
Pour les autres éléments de la réglementation, tels que la gouvernance, les investissements durables et le principe d’absence de préjudice important associé à des garanties sociales, les points de vue sont très différents. Si bien que tant que les définitions ne commenceront pas à converger, l’investisseur continuera de comparer des pommes et des poires.
Un subtil exercice d’équilibriste
Un autre aspect que je souhaite mentionner est que le fait de considérer qu’une stratégie d’investissement favorise l’environnement et le social (Article 8), ou qu’elle a un objectif durable (Article 9) signifie qu’il existe beaucoup d’obstacles à surmonter ou à déclarer (bonne gouvernance, investissements durables, préjudice important, alignement sur la taxonomie, par exemple). Si vous souhaitez rendre compte de ces éléments, mais aussi avoir une influence sur (une partie d’entre) eux, vous finirez par accumuler les restrictions dans votre univers d’investissement.
Nos clients nous choisissent non seulement pour notre excellente offre d’investissement durable, mais aussi sur la base de nos performances. La clé est donc de trouver l’équilibre entre toutes les exigences réglementaires, en veillant à ce que les choix que nous faisons correspondent à notre position actuelle de leader de l’investissement durable, tout en conservant notre capacité à générer suffisamment de valeur financière pour nos clients. Un subtil exercice d’équilibriste !
La réglementation peut aider, mais elle n’est pas l’objectif final
Enfin, assurons-nous que la mise en œuvre de cette vaste réglementation ne nous empêche pas de financer la croissance durable, puisque c’est précisément ce qu’elle cherche à atteindre. Pour nous, cela signifie que nous devons investir dans des actifs de manière durable et financièrement raisonnable, et être un investisseur engagé et actif à l’égard des sociétés dans lesquelles nous investissons.
La législation fait peser une grande partie de la charge de la preuve sur les gérants d’actifs qui pratiquent réellement l’investissement durable dans toutes leurs activités. Il est donc indispensable de ne pas se perdre dans toutes les déclarations à faire et autres formulaires à remplir. Nous devons continuer d’effectuer nos recherches, d’élaborer des solutions d’investissement innovantes, de collaborer avec les clients, les ONG et les universitaires pour susciter le changement.
Cela dit, je pense qu’au bout du compte, la réglementation pousse l’industrie vers plus de transparence et de comparabilité, mais aussi vers de meilleures pratiques. Ce qu’on peut mesurer (et, plus important, communiquer) finit aussi par être réalisé.
Je remercie Leontine van der Goes, responsable de notre programme SFDR, d’avoir donné son point de vue et contribué à cet article.
Par Masja Zandbergen - Albers, Head of sustainability Integration
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