La loi de finances pour 2019 réforme l’abus de droit en ajoutant aux dispositions existantes un « mini-abus de droit ». Pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2020, l’administration fiscale pourra désormais considérer qu’il y a abus de droit si l’opération va à l’encontre de l’objectif du législateur et présente un intérêt principalement fiscal. Jusqu’alors, l’intérêt devait être exclusivement fiscal. Analyse par Françoise Jaouen Bertrand Genachte, avocats du cabinet Cornet Vincent Segurel.
En d’autres termes, deux types d’abus de droit vont cohabiter : le premier fondé sur l’intérêt exclusivement fiscal qui entraîne des sanctions spécifiques et le second fondé sur l’intérêt principalement fiscal qui en théorie n’est pas automatiquement sanctionné.
Cet ajout pose un grand nombre d’incertitudes sur les opérations juridiques traditionnellement pratiquées et validées par la jurisprudence et le Comité de l’abus de droit fiscal. L’exemple suivant en est une illustration…
Monsieur et Madame X apportent une résidence secondaire à une SCI et donnent ensuite la nue-propriété des parts à leurs enfants.
Monsieur et Madame X, usufruitiers des parts, sont nommés gérants révocables à l’unanimité des associés.
Les statuts attribuent les droits de vote aux usufruitiers, laissant uniquement le droit aux nus-propriétaires d’assister aux assemblées générales.
La mise en société de l’immeuble avant la donation des titres présente un intérêt fiscal, dès lors que l’assiette imposable aux droits d’enregistrement correspond à la valeur nette de la nue-propriété des titres. Ainsi, les éventuelles dettes de la SCI sont prises en compte et une décote peut le cas échéant être appliquée.
En l’absence de mise en société, la transmission de la nue-propriété de l’immeuble aurait entraîné l’application de droits de mutation calculés sur la valeur fiscale brute de la nue-propriété de l’immeuble.
Ce montage a été validé par la jurisprudence et le Comité de l’abus de droit dès lors notamment que d’un point de vue civil, il permet d’échapper aux règles de l’indivision. En effet, chaque nu-propriétaire sera plein propriétaire de titres. En l’absence de société, les donataires auraient été en indivision sur la nue-propriété de l’immeuble. L’intérêt exclusivement fiscal n’est donc pas caractérisé.
Qu’en est-il désormais au regard de ce qui est appelé le « mini-abus de droit » ? Cette opération peut-elle être considérée comme présentant un intérêt principalement fiscal ?
Si à compter du 1er janvier 2020, Monsieur et Madame X font la même opération, la volonté d’échapper à l’indivision sera-t-elle une raison suffisante pour éviter à elle seule l’abus de droit ? Quid dans le cas d’un enfant unique ?
Dans l’incertitude juridique que pose la notion de « principalement fiscal », il semble préférable de ménager la preuve de la volonté du donateur de transmettre progressivement et réellement de son vivant en faisant participer le nu-propriétaire à la prise de décision et en le nommant éventuellement dans l’exercice de fonctions de direction. Finalement, la transmission d’une partie du pouvoir sur le bien devra être immédiate et effective et non à terme.
Les motifs et objectifs d’une donation en nue-propriété devront impérativement être quantifiés et exposés dans les actes réalisant l’opération de donation.