Cet article a été rédigé et initialement publié sur le site Le Conservateur. Créé en 1844, ce Groupe mutualiste indépendant propose une gamme de produits diversifiés en assurance vie, prévoyance, épargne retraite, placements financiers et une solution d'épargne originale et confidentielle sur laquelle il a bâti sa réputation et son développement : la Tontine. Avec 248 000 sociétaires et près de 9 milliards d’euros d’actifs gérés au 1er janvier 2020, Le Conservateur est aujourd’hui un acteur référent du marché français.
La société civile, le plus souvent propriétaire d’un patrimoine immobilier, peut être appelée à consentir une sûreté pour garantir une dette qui n’est pas la sienne. On songe immédiatement à une SCI dont les associés sont également associés d’une société commerciale qui sollicite un crédit supposant de présenter une garantie dont elle ne dispose pas. Ici, on doit naturellement évoquer les sûretés personnelles, comme le cautionnement, mais surtout les sûretés réelles pour autrui, désignées auparavant par l’expression « cautionnements réels ».
Si on observe le droit des sociétés civiles, il n’existe aucun texte qui régit les sûretés pour autrui. Il s’agit néanmoins d’un acte grave qui peut menacer, en cas de mise en œuvre l’existence même de la société. C’est en se fondant sur les principes fondamentaux qui président à la vie des sociétés, l’objet social et l’intérêt social, que les contestations sur la validité de ces opérations ont nourri un contentieux significatif.
1. LE POUVOIR DE CONSENTIR UN CAUTIONNEMENT
On sait que la capacité de jouissance de la société civile est limitée par le principe de spécialité statutaire. La société ne peut accomplir d’actes juridiques en dehors des prévisions de l’objet social. C’est la prescription de l’article 1849 du Code civil disposant que « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social ». En clair, les statuts devraient inclure, dans la rédaction de l’objet social, la faculté, à titre exceptionnel, de consentir des cautionnements. À défaut, la nullité serait encourue [1]. L’observation montre que ce type de prévision statutaire reste rare. Fort heureusement, la Cour de cassation admet que la sûreté pour autrui n’est pas nulle pour contrariété à l’objet social lorsqu’elle est autorisée par les associés à l’unanimité [2] par le jeu d’une décision collective ou d’un acte signé par tous les intéressés. Enfin, les juges ont ouvert une dernière voie en admettant la validité de la sûreté pour autrui accordée par une société civile lorsqu’il existe une communauté d’intérêts entre cette société et la personne cautionnée [3]. La notion reste vague mais on peut considérer, par exemple, qu’elle pourrait être retenue dans un groupe de société ou lorsque la SCI propriétaire d’un terrain cautionne une société commerciale à laquelle elle consent un bail à construction.
À dire vrai, la prudence appelle une décision des associés à l’unanimité.
2. LA CONFORMITÉ À L’INTÉRÊT SOCIAL
L’intérêt social, c’est la boussole qui doit guider dirigeants et associés. L’exigence a été formellement renforcée par la loi PACTE ajoutant à l’article 1833 du Code civil que « la société est gérée dans son intérêt social… » Le nouveau texte conforte ainsi la jurisprudence désormais classique selon laquelle le cautionnement consenti par une société civile doit être conforme à son intérêt social. Ainsi, les juges, à de nombreuses reprises, ont annulé les cautionnements au motif « que n’est pas valide la sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un associé, dès lors qu’étant de nature à compromettre l’existence même de la société, elle est contraire à l’intérêt social ; qu’il en est ainsi, même dans le cas où un tel acte entre dans son objet statutaire ; qu’ayant constaté, par motifs propres ou adoptés, que l’immeuble donné en garantie du prêt… constituait le seul bien de la SCI, de sorte que cette dernière, qui ne tirait aucun avantage de son engagement mettait en jeu son existence même, la Cour d’appel a statué à bon droit » [4].
Dans l’hypothèse visée, pour que le cautionnement soit valide, il aurait fallu établir l’existence d’une contrepartie [5], la société civile étant un groupement à but lucratif, elle ne peut accomplir des actes désintéressés.
Quels avantages sont de nature à compenser le cautionnement et à le sauver ? Trois illustrations viennent à l’esprit. La société civile acquiert un terrain et consent un bail à construction à une SARL qui emprunte. La banque demande à la SCI une caution hypothécaire qui, à la fin du bail, deviendra propriétaire des constructions, sans indemnité. On peut également penser à la SCI nue-propriétaire qui cautionne l’emprunt de la société commerciale qui acquiert l’usufruit, la première récupérant la pleine propriété au bout de 15 ans. Enfin, et l’opération a été validée, ce sera également le cas de la caution de la SCI pour garantir le prêt de l’associé dont le montant lui permettra de libérer son apport [6].
Il faut néanmoins indiquer que les juges ont limité l’exigence au seul cas où le cautionnement absorbe tout le patrimoine social, de sorte qu’il menace l’existence même de la société. Ce sera le cas où la SCI détient plusieurs immeubles et un seul est engagé [7]. Selon la Cour de cassation, ce sera également le cas lorsque, portant sur le seul immeuble détenu par la SCI, la sûreté mise en œuvre reste inférieure à la valeur du bien hypothéqué permettant ainsi à la société de réinvestir les sommes lui revenant, conformément à son objet [8].
Enfin, il faut citer une nouvelle disposition de la loi pacte pouvant conjurer cette jurisprudence destructrice du crédit. Le nouvel article 1844-10, al. 3, du Code civil dispose dorénavant que « la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833 »… qui vise l’exigence du respect de l’intérêt social.
Le risque de nullité est-il définitivement exclu ? Certains auteurs en doutent, considérant que le texte ne viserait que les actes et délibérations internes à la société, non les conventions avec les tiers. Il appartiendra aux juges de dire le droit.
Article rédigé par Jean PRIEUR, Agrégé des Facultés de Droit et Professeur Émérite des Universités
[1] Cass. 1e civ. 18 octobre 2017, n° 16-17.184.
[2] Cass. com. 8 novembre 2011, n° 10-24.438.
[3] Cass. civ. 1ère, 1er février 2000, n° 97-17.827.
[4] Cass. com. 23 septembre 2014, n° 13-17.347.
[5] Cass. com. 2 novembre 2016, n° 16-10.363.
[6] Cass. com. 2 novembre 2016, préc.
[7] Cass. civ. 3e, 27 avril 2017, n° 16-12388.
[8] Cass. civ. 3e, 21 décembre 2017, n° 16-26.500.
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