Sur les marchés comme en politique, les perceptions sont souvent plus importantes que les faits. C'est ce qui explique la nervosité des marchés à propos des nouvelles élections en France.
L'une des curiosités de la politique européenne est que chaque campagne électorale dans chacun des 27 Etats membres est encore largement une affaire nationale. Les élections au Parlement européen (PE) début juin et les élections anticipées en France les 30 juin et 7 juillet en sont des exemples. Pour commencer par les premières : Les résultats globaux ont été assez fidèles aux bonnes prévisions de sièges basées sur les sondages ; les écarts paneuropéens pour les 720 députés européens (MPE) augmentés se sont limités à une demi-douzaine de sièges au maximum par groupe, soit moins d'un pour cent.1) La raison en est, une fois de plus, que les grandes surprises au niveau national étaient largement décorrélées et tendaient à se compenser mutuellement.
Comme le montre notre "graphique de la semaine", la part de voix du PPE (Parti populaire européen) de centre-droit est restée à peu près stable, tandis que celle du S&D (Socialistes et démocrates) de centre-gauche a augmenté sur la base de résultats provisoires. En termes de sièges, c'est toutefois l'inverse qui s'est produit ; le PPE a obtenu de très bons résultats dans les petits États membres comme l'Estonie, où il faut beaucoup moins de voix pour obtenir un siège au Parlement européen.2) Inversement, les voix du S&D ont été réparties moins efficacement qu'en 2019, de sorte qu'un pourcentage de voix plus élevé signifiait moins de sièges.3) Les libéraux et les Verts ont perdu, quoi qu'on en dise, même s'ils avaient obtenu des résultats historiquement forts en 2019. Et à droite, le centre de gravité s'est nettement déplacé, le parti national-conservateur ECR (dominé par des partis très méfiants à l'égard de l'influence russe) gagnant du terrain et le groupe ID, plus favorable à la Russie, en perdant.4)
Gagnants et perdants des élections au Parlement européen en pourcentages de voix provisoires
Mais sur les marchés comme en politique, les perceptions comptent souvent plus que les réalités électorales. Lorsque le président français Emmanuel Macron a décidé de convoquer des élections législatives anticipées en réaction à la chute sombre, mais largement attendue, de son parti, les marchés boursiers et obligataires se sont emballés. Dans un sens, c'est tout à fait compréhensible. La dette publique de la France représente environ 110 pour cent du PIB. Le déficit budgétaire s'élevait à 5,5 pour cent en 2023 et devrait se maintenir autour de cinq pour cent cette année encore. Avec la réintroduction des règles budgétaires européennes (dette publique inférieure à 60 pour cent et déficits publics inférieurs à 3 pour cent du PIB), la France va entamer une procédure de déficit excessif (EDP). S&P a abaissé sa notation de AA à AA- fin mai. Rien de tout cela ne devrait cependant être une nouveauté pour les acteurs du marché. Pas plus que la difficulté inhérente à prédire les résultats des deux tours des élections législatives à l'Assemblée nationale (AN), la chambre dominante du Parlement.
Depuis 2022, le parti de la Renaissance de Macron et ses alliés n'ont pas de majorité à l'AN. En raison d'un pacte d'unité entre quatre partis de gauche jeudi, les macronistes risquent d'être exclus de nombreux seconds tours le 7 juillet, qui pourraient à la place donner lieu à de riches duels entre une gauche inhabituellement unie et le Rassemblement national (RN) d'extrême droite de Marine Le Pen. Bien que nous soyons très sceptiques quant aux chances du RN d'obtenir une majorité absolue, il y a de fortes chances qu'une nouvelle impasse se produise au Parlement. Selon la Constitution française, le président ne pourrait pas convoquer de nouvelles élections pendant 12 mois. Pour les semaines à venir, nous nous attendons à ce que la volatilité reste élevée.
Références :
1) Voir la section "Europe Elects projection accuracy", disponible sur : Élection du Parlement européen 2024 - Europe Elects
2) Pour plus d'informations, consultez nos prévisions électorales, disponibles sur : Protest votes, the European way (dws.com)
3) De telles anomalies expliquent peut-être pourquoi la page officielle des résultats n'indique que les sièges paneuropéens, les pourcentages de voix étant plus difficilement accessibles en temps réel. Voir : 2024 Election results | 2024 European election results | European Parliament (europa.eu)
4) Bien sûr, de telles comparaisons sont toujours difficiles, car les affiliations de partis changent constamment, surtout à droite. En 2019, le Royaume-Uni était encore membre. Depuis, le Fidesz hongrois et l'AfD allemand ont respectivement quitté le PPE et l'ID, leurs délégations sont devenues des Non-Inscrits (NI) ; leurs députés européens (MPE) n'appartiennent à aucun des groupes politiques reconnus, ce qui nécessiterait des alliés dans sept pays différents.
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