En 2024, les élections se suivent et ne se ressemblent pas. Au Royaume Uni, comme anticipé, le parti travailliste triomphe contre un parti conservateur chassé du pouvoir après 14 ans de règne. En France, la majorité en place perd également sa position dominante. Mais à la surprise générale, c’est la coalition de gauche qui remporte les élections législatives.
Ces bouleversements présentent pourtant un point commun : le rejet brutal du pouvoir en place. Un phénomène qui n’est pas seulement européen. Aux Etats-Unis, le retour en force du trumpisme malgré les déboires de son chef obéit à la même logique.
Cette défiance à l’égard des pouvoirs en place obéit certes à des facteurs locaux, mais certains sont communs à toutes ces situations. En particulier, comme on l’observe en Europe, ils s’enracinent dans un fort sentiment de frustration économique, exprimé en termes de baisse du pouvoir d’achat.
Ce sentiment peut s’expliquer en partie par l’inflation, mais celle-ci s’avère transitoire. Une cause plus profonde, mais moins visible, est à l’œuvre depuis bien plus longtemps : le ralentissement structurel de la croissance. Certes, elle reste positive au niveau mondial : au-dessus de 3% en moyenne sur les 10 dernières années. Mais c’est un fait, elle ralentit. Et d’après la plupart des économistes, à moins de réformes très énergiques, elle est vouée à ralentir encore – ce qui augure bien des déconvenues pour les nouveaux élus !
La Banque mondiale a récemment fait un point précis sur ce déclin structurel[1]. Il tient à l’érosion – en partie réversible – des sources de croissance potentielle : baisse mondiale du rythme de croissance de la population active, baisse structurelle de l’investissement productif et des gains de productivité du travail. D’autres facteurs, peu mis en avant par cette étude, pourraient encore aggraver ce diagnostic, en particulier l’impact du réchauffement climatique aux conséquences potentielles bien plus dramatiques que ne le prévoient les modèles cités habituellement. Une étude récente du National Bureau of Economic Research[2], qui certes demande encore à être validée par la communauté des économistes, vient en effet de jeter le trouble en estimant que le réchauffement d’un degré supplémentaire pourrait amputer le PIB mondial de 12% sur six ans – avec un degré de confiance statistique de 68% – soit 6 fois davantage qu’évalué jusqu’ici.
Pour contrer cette érosion de croissance et la frustration sociale qui en découle, les gouvernements ont souvent eu tendance à soutenir la demande au moyen notamment de l’endettement public. Mais cet expédient sera de plus en plus difficile à mobiliser, puisque l’endettement public approche désormais ses limites de soutenabilité. En outre, soutenir la demande ne suffit pas, car l’effet n’est que ponctuel. D’après la Banque mondiale, une solution durable ne peut provenir que d’un renforcement de facteurs de production : augmentation de l’investissement productif, de la quantité totale de travail (y compris par un recours à l’immigration par exemple, qui en général soutient la croissance) et de sa productivité. Mais pour cela, encore faut-il mobiliser les énergies, les électeurs comme les financeurs. Une tâche qui s’avère rude, tant ce type de mesure semble en général moins populaire que le soutien de la demande.
Pour les marchés, la conséquence de cette croissance structurellement déclinante – si les économistes ont raison et si les réformes drastiques ne sont pas entreprises – est manifeste. A moins que les entreprises puissent encore augmenter leurs marges, ce qui paraît difficile au regard de leur niveau déjà historiquement élevé, les rendements futurs des actions risquent progressivement de se réduire. Mais cette tendance ne vaut qu’en moyenne. Elle ne s’applique pas à toutes les actions. Individuellement, ou par groupes, certaines entreprises particulièrement performantes se distingueront. Le groupe des «7 magnifiques[3]», qui domine le marché depuis deux ans, en fournit un exemple qui variera avec le temps. Il illustre le fait que même si le monde, notamment le monde industrialisé, converge vers une croissance faible, peut-être nulle à très long terme, certaines entreprises continueront à tirer leur épingle du jeu. Ce sera la tâche de la gestion active de portefeuilles que de les repérer à temps, non seulement pour bénéficier des sources de rendement subsistantes, mais aussi pour soutenir l’investissement dans les sources d’une croissance raréfiée. Sous certaines conditions, la sauvegarde de la croissance potentielle ira ainsi de pair avec un rendement de marché préservé, au moins pour certains segments.
Par Alexis Bienvenu, Fund Manager, La Financière de l’Echiquier (LFDE)
[1] Falling Long-Term Growth Prospects. Trends, Expectations and Policies, édité par M. Ayhan Kose et Franziska Ohnsorge, World Bank Publications, 2024. Résumé dans le communiqué de presse en français : https://go.lfde.com/e/46022/et-to-fall-to-three-decade-low/99ygm1/2936494407/h/rYFMFnXgKbQuWx9YjNj9_5d3ieHbejGwdlhEDLP61Oc
[2] A. Bilal et D.R. Känzig, « The macroeconomic impact of climate change : Global vs local temperature », NBER Working Paper 32450, mai 2024.
[3] Expression désignant 7 actions américaines du secteur technologique, leaders dans leur activité, dont le parcours boursier est exceptionnel et dont la capitalisation est devenue considérable. Il s’agit d’Alphabet, Amazon, Meta, Apple, Microsoft, Nvidia et Tesla.
Ces informations et ce document ne sont pas constitutifs d’un conseil en investissement, une proposition d'investissement ou une incitation quelconque à opérer sur les marchés financiers. Elles sont fournies à partir des meilleures sources en notre possession. Les informations communiquées sont le résultat de recherches internes réalisées par l'équipe de gestion dans un contexte de marché en particulier, elles n'engagent aucunement La Financière de l'Echiquier et sont susceptibles d'évoluer dans le temps.
Pour visiter le site de La Financière de l'Echiquier, cliquez ICI.