En cette fin d'année, la quasi-totalité des « perspectives » pour 2020 vont une nouvelle fois parler de « l'éclatement de la bulle obligataire ». Peut-être auront-elles enfin raison après avoir passé les 30 dernières années à conseiller de « vendre les obligations ».
Si ces prédictions finissent par se réaliser en 2020, c'est que de nombreuses tendances de très long terme seront sur le point de prendre fin simultanément. Il s'agit de ce que nous appelons les « sept tendances séculaires ». Voyons si réellement nous assistons à la fin d'une tendance vieille de 30 ans des rendements obligataires et de l'inflation.
1. La démographie :
L'impact du baby-boom de l'après-Seconde Guerre mondiale sur les économies des pays développés a été majeur. Le désir d'épargne et d'investissements des baby-boomers a été proportionnel à l'augmentation de leurs revenus. La demande de revenus et d'actifs sûrs a augmenté de façon spectaculaire et, ce faisant, a favorisé la baisse des rendements obligataires.
2. L'impact de la technologie sur l'inflation
La déflation spectaculaire des biens de consommation est l'une des réponses à la faible inflation et a été en grande partie favorisée par l'effondrement du prix de la technologie. Internet permet de trouver le prix le plus bas pour tous les types de biens. C'est une source de surplus et de désinflation énorme pour les consommateurs, sans parler de l'impact de l'essor des robots et de l'intelligence artificielle, notamment sur le marché du travail. De nouvelles baisses des prix favorisées par la technologie sont encore possibles et probables.
3. Des banques centrales indépendantes
Lorsque Paul Volker a été nommé président de la Réserve fédérale américaine en 1979, l'inflation aux États-Unis était de 11,3 % et a culminé à 14,3 % en mars 1980. Les emprunts d'État américains étaient alors considérés comme étant quasiment non investissables dans la mesure où les rendements étaient érodés par l'augmentation du coût de la vie. Paul Volker a fixé le taux des fonds fédéraux au-dessus du taux d'inflation - une idée radicale à l'époque. L'inflation n'a cessé de ralentir tout au long de son mandat et une culture de banque centrale en lutte contre l'inflation s'est instaurée. C'est ce qui a conduit à l'adoption d'objectifs d'inflation explicites dans le monde entier.
4. Le capitalisme
Dans la mesure où la main-d'œuvre est devenue moins puissante depuis l'arrivée des baby-boomers dans l'économie, le capital a pris le dessus et s'est arrogé la plus grande part des bénéfices et de la croissance dans les économies développées. Les gouvernements ont déréglementé les marchés financiers et du travail et l'émergence des nouveaux géants technologiques (les GAFA) s'est traduite par une concurrence accrue dans certains domaines et par la création de monopoles dans d'autres. Le capitalisme a ainsi maintenu la croissance des salaires à un faible niveau et a favorisé la croissance d'une économie reposant sur le travail précaire.
5. La mondialisation
Depuis l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce en 2001, la chaîne d'approvisionnement est devenue mondiale et les prix des biens se sont effondrés. En cause, l'importation massive de produits bon marché fabriqués par des personnes rémunérés une infime partie des salaires occidentaux.
6. Le mème de l'austérité
Le livre de Reinhart & Rogoff « This Time is Different » , récit d'une augmentation des emprunts des États conduisant à une catastrophe économique, a planté le décor d'une décennie d'austérité dans les économies les plus durement touchées par la crise financière mondiale. Aujourd'hui, la relation entre les emprunts des États, les émissions d'obligations et les rendements obligataires est étonnamment faible : on pourrait penser que quand les États émettent davantage d'obligations, les cours baissent. Cela n'a pas été le cas dans le passé dans la mesure où les périodes où les États ont davantage emprunté ont généralement été des périodes de croissance et d'inflation faibles. Il est donc possible que cette période d'émissions d'obligations relativement faibles à une époque de croissance anémique ait entraîné des rendements obligataires inférieurs à ceux que nous aurions normalement dû connaître.
7. L'assouplissement quantitatif
Le « QE » a-t-il pour effet de faire baisser les rendements obligataires ? La réponse est oui. Une étude de tous les documents universitaires sur l'impact de l'assouplissement quantitatif dans le monde a démontré qu'en moyenne, les trois vagues de « QE » aux États-Unis avaient respectivement réduit les rendements des emprunts d'État américains de près de 70 pb, 20 pb et 10 pb. Même si l'inflation demeure inférieure à l'objectif dans la plupart des économies développées, il est toutefois peu probable que les obligations détenues au sein des bilans des banques centrales soient liquidées.
Certaines de ces tendances séculaires sont donc menacées. Beaucoup d'entre elles semblent moins puissantes qu'elles ne l'étaient à leur apogée, mais il est possible que ce que nous savons de l'impact de la technologie sur les salaires et l'inflation n'en soit qu'à ses débuts.
Les tendances démographiques demeurent inchangées, même si l'augmentation continue de l'espérance de vie à laquelle nous nous attendions a cessé au sein de certains profils démographiques.
En avons-nous assez de l'indépendance des banques centrales ? C'est certainement le cas de Donald Trump à en juger par ses tweets. Le président de la Fed, Jerome Powell, a subi d'énormes pressions afin de ramener les taux vers zéro. Si Trump est réélu en 2020 nous pouvons nous attendre à ce que Jerome Powell soit remplacé par quelqu'un de plus disposé à relancer de façon agressive l'économie américaine.
La question de savoir si la domination du système économique capitaliste va se poursuivre dans la même mesure dépend de quelques résultats électoraux assez importants. Bien qu'aucun des deux candidats ne soit le favori des bookmakers, Jeremy Corbyn au Royaume-Uni et Elizabeth Warren aux États-Unis ont tous deux une chance d'accéder au pouvoir, et tous les deux ont des programmes radicaux qui impliqueraient probablement une augmentation de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur la fortune, des taxes sur les transactions financières et d'une hausse des dépenses publiques. Conjuguée aux mouvements protectionnistes existants aux États-Unis et aux nouvelles barrières commerciales européennes après le Brexit, la philosophie antimondialisation de la gauche pourrait aggraver encore un peu plus la stagnation des échanges commerciaux internationaux.
Nous nous trouvons ainsi à l'aube de la nouvelle année 2020 dans un contexte moins propice à la baisse des rendements obligataires.
Mais il existe clairement d'importantes fragilités économiques et sociales dans le système mondial susceptibles d'entraîner de nouvelles mesures monétaires des banques centrales - tant traditionnelles (baisse des taux) qu'extraordinaires (abaissement des taux sous 0 %, davantage de « QE ») - et un nouveau mouvement de fuite vers la qualité. Les répercussions de la crise financière mondiale se font encore sentir alors même que le système mondial est plus endetté qu'en 2007. Lla hausse des rendements obligataires pourrait donc elle-même provoquer la prochaine grande récession.
Par Jim Leaviss, Directeur de l'équipe Wholesale Fixed Income chez M&G
Pour plus d'informations, cliquez ICI.