Points clés à retenir :
o L’expérience vécue pendant deux mois de 70 % de salariés, éloignés de leurs bureaux, crée un terrain favorable pour questionner le besoin de revenir au bureau.
o Plus de 80% des Français sont satisfaits de leurs bureaux et de leur temps de trajet domicile-travail
o Les facteurs objectifs qui peuvent motiver le recours au télétravail (prix élevé de l’immobilier, forte densité des espaces de travail, temps de trajet allongé) se concentrent dans quelques zones tertiaires en Île de France (ou métropoles, à la marge)
o L’immobilier constitue peut-être le deuxième poste de coût d’une entreprise, mais l’ordre de grandeur n’est pas comparable avec la masse salariale : les salaires représentent six fois les coûts immobiliers
o Changer d’organisation du travail, dans le temps et dans l’espace, est séduisant, mais doit se faire avec une large préparation.
Mais avant d’aller plus loin je me confesse : je suis « conflicté » comme il est de coutume de dire dans le jargon des entreprises, pétri de vilains anglicismes. À titre personnel je suis partie prenante de ce marché des bureaux et en tant qu’investisseur, je suis en effet suspect de favoriser cette industrie ou au moins de prendre sa défense, soit.
Mais au-delà de ça , permettez-moi de faire une autre déclaration : je crois aux bureaux et à l’industrie à laquelle je me consacre depuis plus de trente ans. J’ai construit ma carrière professionnelle autour d’un constat, celui d’investir dans un actif utile à la société. Pas un actif parfait, mais nécessaire.
J’espère que ce billet contribuera utilement aux discussions animées que ce sujet suscite. Ouvrons le débat :
Les Français sont très majoritairement satisfaits de leur bureau et lui reconnaissent son rôle clé sur le plan relationnel
Entrons dans le sujet, en revenant juste un peu en arrière avec une étude publiée par ACTINEO en 2019 :
- 80% des actifs trouvent que leur bureau est adapté à leurs besoins.
- 85% des répondants se disent très satisfaits ou plutôt satisfaits de la qualité des interactions que le lieu de travail permet d’avoir avec collègues et hiérarchie
Les 19 – 25 ans sont encore plus sensibles à l’aspect social de la vie de bureau, qui joue un rôle encore plus important au moment où l’on arrive dans la vie professionnelle. Un point non négligeable pour toute entreprise souhaitant attirer de nouveaux collaborateurs.
Enfin, pour l’anecdote, la machine à café reste citée comme l’un des espaces les plus importants.
Ce sondage est bien entendu à pondérer après cette longue expérience, mais nous y reviendrons.
Les plateaux ouverts, ou open-space, ne concernent que 12% des postes
Autre enseignement de cette étude : 66% des répondants travaillent dans des bureaux fermés, individuels ou partagés à deux ou trois personnes. Les 34% restants se trouvent dans des espaces ouverts open-space, dont 22% qui comptent moins de 10 personnes. Mon constat est le même, au-delà de cette étude de référence, lorsque je visite des sites un peu partout en France, l’open-space apparaît fantasmé, la réalité est plus simple.
Nous sommes loin de « l’open-space m’a tuer », vous en conviendrez. C’est pourtant bien cette vision qui domine les imaginaires et qui amène à envisager la « mort du bureau ».
En dehors de l’Île-de-France, 80% des Français se déclarent satisfaits de leur trajet domicile travail
Intéressons-nous désormais à une autre étude. Dans l’enquête Ipsos de 2019 sur les mobilités, on apprend que 69% des personnes mettent moins de 30 minutes pour aller au travail. Elles sont 31% à mettre plus de 30 minutes par trajet. Ajoutons immédiatement que la situation varie fortement en fonction de la région : en Île-de-France elles sont 54% à mettre plus de 30 minutes. Cette « géographie tertiaire » se reflète dans le niveau de satisfaction exprimé quant aux transports : 75% de personnes satisfaites en moyenne en France. Mais 63% seulement en Île-de-France, alors que les autres régions sont en grande majorité aux alentours de 80%.
L’immobilier coûte six fois moins cher que les salaires, les ordres de grandeur ne sont pas comparables
L’immobilier a un coût. La question peut légitimement se poser de savoir si ce coût représente le « Juste prix », pour reprendre le titre d’une émission de télévision disparue.
Si nous reprenons un argument souvent utilisé : l’immobilier est le deuxième coût des entreprises après la masse salariale, cela marque les esprits. Mais l’ordre de grandeur n’est pas comparable.
Le ratio est en réalité de 1 à 4 si on compare le chiffre brut de l’ARSEG qui publie le coût moyen d’un poste de travail en France (13 566 €)[3] et le coût moyen d’un employé en France selon l’INSEE (51 839 € par an toutes charges comprises). Allons dans le détail : l’ARSEG précise que ce coût provient à 24% des moyens et équipements (ordinateurs, imprimantes, fournitures, courriers, etc.), autant de coûts incompressibles avec ou sans immobilier. Et 50% viennent des loyers, assurances, et taxes locales. Le loyer est une part importante, mais l’ARSEG se base sur un échantillon où l’Île-de-France est très largement surreprésentée (plus de 50%). Or les loyers moyens en Île-de-France sont deux fois supérieurs au reste de la France. On peut donc estimer que le ratio entre masse salariale et coût de l’immobilier est de 1 à 6.
Dit autrement, le deuxième poste de coût (l’immobilier) est six fois plus faible que le premier (les salaires).
En 2017, IBM a abandonné sa politique 100% télétravail
Depuis 2017 IBM est revenue sur sa politique « 100% télétravail », imposant à tous ses salariés de revenir au bureau . Ce « demi-tour toute » est d’autant plus marquant qu’IBM avait été initialement applaudie pour cette politique supposément visionnaire. Ce retournement devrait nous alerter sur les limites du télétravail sans limites, sans préparation. Changer son organisation du travail ne se fait pas du jour au lendemain.
« Un exemple d’échec ne saurait démontrer que le télétravail ne fonctionne pas » me direz-vous peut être ? Et vous aurez raison, a fortiori après avoir constaté collectivement que le télétravail fonctionnait très bien (et c’est tant mieux) ! Mais gardons-nous également de donner trop de poids aux annonces fracassantes faites par des entreprises acculées financièrement (PSA) ou ayant mis des années à atteindre péniblement la rentabilité (Twitter). Changer son organisation du travail du tout au tout ne se fait pas du jour au lendemain. Le bureau a beaucoup évolué depuis 20 ou 30 ans et nous, professionnels de l’immobilier, sauront une nouvelle fois adapter nos immeubles aux attentes de nos locataires.
Je m’interroge alors : pourquoi voudrait-on réparer quelque chose qui n’est pas brisé ? Pourquoi voudrait-on d’un seul coup généraliser le télétravail dans une logique « taille unique » ? Pourquoi maintenant, alors que son inexorable ascension se fait attendre depuis 20 ans ?
Jean Christophe ANTOINE
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