Depuis la tribune de 1970 rédigée par Milton Friedman, Prix Nobel d’Economie, la raison d’être et les responsabilités des entreprises cotées ont fortement évolué.
Les actionnaires, rien que les actionnaires ?
Selon la doctrine de Friedman, la principale – voire l’unique – responsabilité d’une entreprise cotée est envers ses actionnaires et consiste à maximiser sa valeur (actionnariale). Les opinions du professeur Friedman ont touché un lectorat plus large avec la publication de sa tribune notoire dans le ‘New York Times ’ le 13 septembre 1970.
Auteur de la théorie monétaire et Prix Nobel d’Economie, Milton Friedman peut également être considéré comme le créateur involontaire de la «société d’actionnaires». En effet, plusieurs générations de chercheurs universitaires, de dirigeants d’entreprises et de gérants de «hedge funds» ont déclaré que les entreprises finançant des projets de nature sociale détournaient les profits qui sont dus à leurs véritables propriétaires, les actionnaires. Ainsi, selon eux, les propriétaires qui souhaitent que les profits de leur entreprise soient reversés au bénéfice de la société doivent puiser dans leurs dividendes ou leurs gains en capital, pour ensuite allouer ces fonds comme ils l’entendent – réinvestir, faire des dons à des associations, ou les dépenser. N’oublions pas que le professeur Friedman a été le conseiller du président des Etats-Unis, Ronald Reagan, et du Premier Ministre britannique Margaret Thatcher.
Comme souvent, la culture populaire a fini par simplifier la doctrine et la faire évoluer pour répondre à ses propres besoins, peut-être à l’insu de son auteur. Il semble en effet que la doctrine de Friedman ait été appliquée au-delà du concept de la valeur actionnariale, pour justifier la cupidité de notre société d’actionnaires.
"Friedman réagissait à l’idée prévalente il y a cinquante ans selon laquelle les grandes (et riches) entreprises doivent se servir des bénéfices qu’elles génèrent pour soutenir des associations caritatives ou des programmes sociaux que les gouvernements ne sont pas prêts à financer".
Capitalisme de long terme, plutôt que le cours des actions à court-terme.
Le point de vue du professeur Friedman sur les actionnaires était beaucoup plus nuancé. Il réagissait à l’idée prévalente il y a cinquante ans selon laquelle les grandes (et riches) entreprises doivent se servir des bénéfices qu’elles génèrent pour soutenir des associations caritatives ou des programmes sociaux que les gouvernements ne sont pas prêts à financer. Il cita, comme exemple, le fait que les entreprises ne devaient pas recruter des ‘chômeurs de longue durée’ au détriment des bénéfices de la société, lorsque des travailleurs mieux qualifiés étaient disponibles, si le seul objectif était de contribuer à l’objectif social de réduire la pauvreté. De la même manière, une entreprise qui bâtit des infrastructures locales qui devraient être financées par l’Etat, vole, en substance, ses actionnaires. Mais il relève une exception importante : «il peut être dans l’intérêt à long terme d’une entreprise qui emploie de nombreuses personnes au sein d’une petite communauté d’allouer des ressources… au bénéfice de cette communauté… pour attirer des employés intéressants, … réduire la masse salariale, ou atténuer les pertes». Un point de vue qui n’est pas sans rappeler la gestion moderne fondée sur l’analyse ESG. Une approche selon laquelle la prise en compte de toutes les parties prenantes devrait créer, à terme, de la valeur pour les actionnaires.
Bonjour l’Impact Investing.
Un nouveau modèle de développement est en train d’évoluer, l’Impact Investing, dans lequel l’entreprise est fondée pour créer un impact social ou environnemental. Pour cette nouvelle race d’entrepreneurs, les bénéfices et la valeur actionnariale de l’entreprise découlent de l’impact sociétal, qu’il soit social ou environnemental. Fournir de l’eau propre. Construire des logements abordables. Créer des agences pour l'emploi afin de mettre en relation les chômeurs de longue durée avec les emplois pour lesquels ils sont les mieux placés. Dans ce nouveau modèle, les actionnaires et les autres parties prenantes établissent un lien entre le profit et l'objectif sociétal.
Un concept auquel Milton Friedman aurait sans doute adhéré.
Maïa Ferrand - Co-Head of External Multimanagement
Mohadeseh Abdullahi - Investment Analyst, Impact Investments
Sources :
https://timesmachine.nytimes.com/timesmachine/1970/09/13/223535702.pdf?pdf_redirect=true&ip=0
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