DES RESULTATS D’ENTREPRISE FLATTEURS : Les marchés ne savent plus où donner de la tête / États-Unis : l’incapacité à pourvoir certains emplois pourrait engendrer une poussée d'inflation / L’économie mondiale se porte bien.
LA BOURDE DE JANET YELLEN
Les marchés ont dû composer avec des signes contradictoires la semaine dernière. Mardi dernier, la secrétaire du Trésor américain et ancienne présidente de la Réserve fédérale, Janet Yellen, a déclaré qu’une hausse des taux pourrait se révéler nécessaire, alors même que sa fonction actuelle ne lui permet pas de se prononcer sur la politique monétaire. S’en est ensuivie une correction des marchés, notamment dans les secteurs affichant des valorisations élevées. Mais Yellen a fait marche arrière, ce qui a entraîné un rebond des marchés. La vigueur de l’économie britannique a poussé la Banque d’Angleterre à réduire le rythme de ses achats d’obligations. Dans le même sens, un membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne a déclaré que l’institution monétaire pourrait également réduire son programme d’achat d’actifs dès le mois de juin. Pour clôturer la semaine, la publication de chiffres de l’emploi moins bons que prévu aux États-Unis a poussé la Réserve fédérale à aller plus loin dans sa rhétorique conciliante. Les taux d'intérêt à long terme et le dollar se sont repliés, tandis que le S&P 500 a atteint un nouveau sommet. Tous ces événements ont engendré une poussée de volatilité. Nous sommes désormais plus prudents vis-à-vis des perspectives à court terme des marchés actions.
À l’heure où certaines entreprises américaines peinent à pourvoir certains emplois, il semble que certains travailleurs préfèrent rester chez eux pour percevoir des indemnités de chômage généreuses. Dans la mesure où cela reflète un problème davantage du côté de la demande que de l’offre, il se pourrait que les entreprises soient contraintes de rehausser les salaires, ce qui pourrait entraîner une accélération de l’inflation. Dans cette perspective, les prévisions d’inflation incorporées par le marché des taux ont franchi les 2,5%, soit leur plus haut niveau depuis 2013. Nous continuons à sous-pondérer les obligations souveraines.
Lors de la réunion du G7 qui s’est tenue la semaine dernière, les chefs d'État ont accentué leur pression coordonnée sur la Chine, rendant peu probable une accalmie dans les tensions qui opposent Washington à Pékin. Malgré ce contexte, les statistiques commerciales de la Chine montrent que l’économie mondiale se porte très bien. Les exportations et importations chinoises ont augmenté respectivement de 32% et 43% en glissement annuel en avril. Les carnets de commandes des manufacturiers allemands ont fourni une confirmation de la vigueur de la demande mondiale, de même que le cours des matières premières : les métaux industriels, et tout particulièrement le cuivre, ont atteint de nouveaux sommets la semaine dernière. Nous nous retrouvons désormais avec des stocks bas et délais de livraison très longs simultanément pour la première fois depuis 25 ans. Parallèlement, l’économie américaine rouvre, à l’image du trafic de passagers dans les aéroports américains, qui a atteint son plus haut niveau depuis 2020 jeudi dernier. Les entreprises américaines ont publié de bons chiffres tout au long de la saison des résultats du premier trimestre. Le taux de croissance pondéré des bénéfices du S&P 500 ressort désormais à 49%, en hausse de 24% par rapport au début de l’année. Nous privilégions les entreprises jouissant d'un fort pouvoir de fixation des prix et qui affiche une exposition diversifiée aux actions.
GRAPHIQUE DE LA SEMAINE : PERTURBATIONS AU NIVEAU DES CHAINES D’APPROVISIONNEMENT
Dans un contexte marqué par le rebond progressif de la demande des consommateurs, les prix des matières premières et des intrants ont fortement augmenté. Mais ce ne sont pas les seuls facteurs à mettre sous pression la rentabilité des entreprises : c’est également le cas des pénuries de main-d'œuvre et de l’allongement des délais de livraison. La question est de savoir quelles sont les entreprises qui possèdent des marques assez fortes pour se permettre de répercuter la hausse des prix des intrants sur les prix de leurs produits et ainsi protéger leurs marges.
MACROECONOMIE : LES CHIFFRES DE L’EMPLOI AMERICAIN GACHENT LA FETE
Les chiffres de l’emploi américain déçoivent
L’économie américaine a créé 266 000 emplois en avril, un chiffre nettement inférieur aux prévisions. Parallèlement, le taux de chômage s’est hissé à 6,1% (ce qui reste largement inférieur au taux record de 14,8% atteint en avril 2020). Le nombre d’emplois créés en mars a été révisé à la baisse, de 916 000 initialement à 770 000. L’indice ISM des directeurs d’achat du secteur manufacturier américain s’est révélé moins bon que prévu, passant de 64,7 en mars à 60,7 en avril. Cette contraction est imputable aux perturbations survenues au niveau des chaînes d’approvisionnement et à la hausse des coûts des intrants.
Commerce chinois : le boom se poursuit
Les exportations chinoises ont bondi de 32,3% (en dollars) en glissement annuel en avril. C’est mieux que ce qu’avaient prévu les analystes et cette hausse intervient après une hausse de plus de 30% en mars. La progression est encore plus impressionnante pour les importations : +43,1%. L’indice Caixin, qui mesure l’activité dans le secteur des services, s’est hissé à 56,3 en avril, soit son plus haut niveau depuis cinq mois.
Royaume-Uni : les prévisions de croissance révisées à la hausse
L’indice PMI IHS/Markit mesurant l’activité dans le secteur des services en zone euro a été rehaussé à 50,5 en avril (contre un chiffre préliminaire de 49,6). Cela signifie que l’activité dans les services a continué à accélérer le mois dernier, quand bien même elle reste largement inférieure à celle observée dans le secteur manufacturier. Le PMI du secteur britannique des services est quant à lui ressorti à 61,0, un niveau nettement supérieur à celui observé dans l’Union européenne, reflet du rythme soutenu de la réouverture de l’économie britannique. Nous avons rehaussé notre prévision de croissance du PIB britannique pour 2021 de 5,5% à 6,5%.
MARCHES : UNE PERIODE DELICATE
À chaque chose malheur est bon
Les marchés actions ont une nouvelle fois été à la peine durant la majeure partie de la semaine dernière, dans un contexte marqué par une certaine fatigue des investisseurs. Les goulots d’étranglement observés du côté de l’offre et à la hausse des prix des intrants dans le secteur industriel ont aussi pesé sur le sentiment. Cela étant, les chiffres de l’emploi américain pour avril, particulièrement décevants, ont soutenu les indices actions à la fin de la semaine en éloignant le spectre d'une hausse des taux. Le S&P a ainsi terminé la semaine en hausse de 1,26% (en USD1 ). Les valeurs liées aux technologies ont largement profité de la faiblesse des chiffres de l’emploi. Cependant, tout au long de la semaine, les valeurs cycliques et celles liées aux matières premières ont poursuivi sur leur bonne lancée. En d’autres termes, la thématique « Réouverture de l’économie » reste d’actualité, quand bien même elle pourrait désormais concerner davantage l’Europe (le Stoxx Europe a gagné 1,95% en euros2 la semaine dernière), car la réouverture de l’économie y a été plus lente qu’aux États-Unis. Globalement, dans la mesure où nombre de bonnes nouvelles ont d’ores et déjà été prises en compte, la période est difficile pour les marchés actions. La consolidation pourrait se transformer en correction temporaire jusqu’à l’apparition de nouveaux catalyseurs, qu’il s’agisse d’une amélioration des chiffres de l’emploi, de signes montrant que les pays émergents sont parvenus à endiguer la pandémie, du lancement du fonds de relance européen ou d’une édulcoration du projet de réforme fiscale de Joe Biden.
Des investisseurs désemparés ?
La déclaration de Janet Yellen selon laquelle « une hausse des taux serait peut-être nécessaire » n’a pas suffi à stopper la baisse des taux américains à long terme. Le taux américain à 10 ans a perdu 7 points de base, pour se replier à 1,56% la semaine dernière. La publication de chiffres de l’emploi étonnamment faibles a favorisé cette baisse. Dans un contexte marqué par les déclarations de Janet Yellen d’un côté mais par la promesse de la Fed de maintenir des taux bas (il se pourrait qu’aucune hausse de taux n’ait lieu avant 2024) de l’autre, par des chiffres de l’emploi décevants mais aussi par notre prévision de croissance de 10% du PIB américain au deuxième trimestre et par des prévisions d’inflation à leur plus haut niveau depuis huit ans, les investisseurs obligataires ont toutes les raisons d’être désemparés. Cela étant, nous continuons à penser que le taux à 10 ans avoisinera les 2,1% d’ici la fin de l’année et que la Fed aura annoncé son intention de réduire ses achats mensuels d’actifs d’ici là.
Hausse du cours du cuivre
Le cours du dollar s’est replié face aux autres grandes devises la semaine dernière. Ce recul s’est accentué après la publication de chiffres de l’emploi moins bons que prévu, lesquels semblent étayer l’argument de la Fed qu’il convient de ne pas normaliser la politique monétaire pour le moment. Les déboires du dollar ont fait le bonheur de l’or, qui a terminé la semaine en hausse de 3,48%. Nous avons adopté un positionnement tactique neutre sur l’or : nous tablons sur une hausse des taux réels américains et cela nous pousse à faire preuve de prudence (d’autant plus que les derniers chiffres de l’emploi américain, certes décevants, ne sont en aucun cas le signe d’un ralentissement de l’économie américaine), mais la révision à la hausse des prévisions d’inflation et les hauts niveaux d’endettement nous poussent à ne pas faire fi des perspectives de l’or à moyen terme. La semaine dernière a une nouvelle fois été particulièrement faste pour les matières premières et la forte reprise mondiale a permis au cours du cuivre d’atteindre de nouveaux sommets. L’argent, qui est autant un métal industriel qu’un métal précieux, a également vu son cours augmenter fortement, mais le potentiel haussier de l’argent pourrait pâtir de sa corrélation relativement étroite à l’or.
1 Source : Pictet WM AA&MR, Thomson Reuters. Performances historiques, Indice S&P 500 (performance nette en USD sur 12 mois) : 2016, 12.0% ; 2017, 21.8% ; 2018, -4.38% ; 2019, 31.5% ; 2020, 18.4%.
2 Source : Pictet WM AA&MR, Thomson Reuters. Performances historiques, Indice Stoxx Europe 600 (performance nette en EUR sur 12 mois) : 2016, 2,4%, 2017, 11,2%; 2018, -10,2%; 2019, 27,6%; 2020, - 1,44%.
César Pérez Ruiz, Directeur des investissements
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