Comme on pouvait s’y attendre en phase de déconfinement et de reprise de la croissance à l’échelle mondiale, les marchés qui ont anticipé depuis déjà plusieurs mois l’amélioration de l’économie et des résultats des entreprises regardent de plus en plus l’évolution de la communication des banques centrales sur fond de hausse des prix.
Le chiffre a surpris les marchés il y a quelques jours : la hausse des prix aux Etats-Unis n’a jamais progressé aussi vite depuis septembre 2008 s’affichant à +4.2% en avril 2021 versus avril 2020. Ce qui a immédiatement entraîné un repli des marchés avec une hausse marquée de la volatilité, et a donné le sentiment que les marges de manœuvres de la Fed se restreignent. La Réserve Fédérale poursuit toujours un double mandat : s’assurer que la trajectoire de l’inflation se normalise dans la zone des 2% et que le maché du travail retrouve les niveaux d’avant crise. Sur la question des prix, la progression est déjà spectaculaire en quelques mois et il semble désormais que c’est surtout la question de l’emploi qui motive l’implication de la Fed, il reste toujours 8 millions d’emplois à recouvrer pour revenir au niveau d’emploi pré-crise.
Mais là-encore, même s’il est toujours plus difficile de relancer une économie que de l’arrêter, il n’est pas certain que l’emploi reste longtemps à la traîne et le dernier rapport sur l’emploi pourrait être en trompe-l’œil. Sa faiblesse a largement surpris le consensus mais cette faiblesse peut être la résultante de plusieurs choses : du niveau d’indemnisation chômage qui freine le retour à l’emploi, d’un niveau d’épargne des ménages qui permet d’être plus patient et sélectif sur le choix du prochain emploi, dans certains secteurs d’un effet de pénurie lié à l’embouteillage mondial sur les matières premières ou encore de facteurs liés à la garde d’enfants lorsque les écoles ou les crèches n’ont pas encore rouvert.
Et les enquêtes montrent des difficultés à recruter dans certains secteurs qui s’accroissent. Plusieurs contraintes citées précédemment peuvent se fluidifier rapidement et les prochains rapports sur l’emploi devraient être bien meilleurs et devraient surtout coller à une croissance attendue à plus de 6% aux Etats-Unis cette année.
La Fed a régulièrement répété qu’elle préviendrait les marchés « très en amont » de toute modification de la politique monétaire. « Très en amont » peut donc supposer un minimum de deux trimestres. Hors scénario inattendu, comme par exemple l’apparition de variants résistants aux vaccins, des progrès substantiels devraient avoir été réalisés sur le front des prix mais également du marché du travail d’ici fin 2021. Robert Kaplan de la Fed de Dallas considère que le taux de chômage pourrait être revenu aux alentours de 4% d’ici la fin de l’année.
Il ne serait donc pas surprenant dans ces conditions qu’un premier ralentissement des achats d’actifs s’opère à la fin du second semestre ou début 2022. Et s’il faut prévenir les marchés « très en amont », cela peut donc signifier que les premiers signaux pourraient être envoyés aux marchés en juin ou juillet. Et c’est probablement pour cette raison que les marchés se sont montrés un peu plus nerveux en mai : c’est moins le « tapering » qui fait peur (car au final un ralentissement des achats d’actifs actera l’amélioration pérenne de l’économie) que l’anticipation de la date des premières annonces de la Fed. Les marchés n’aiment pas l’incertitude…
Ce risque semble toutefois mesuré : le ralentissement des achats d’actif post crise des subprimesn’avait pas entraîné de retournement des marchés, juste quelques épisodes de stress et de consolidation sans conséquences sur la tendance.
Ces questions du timing des annonces concernent aussi l’Europe, même si le cycle de reprise est décalé par rapport aux Etats-Unis, le marché redoute un peu la réunion de juin de la BCE car les discussions devraient être plus animées, l’institution monétaire ayant déjà tiré la cartouche de la hausse des achats d’actifs au deuxième trimestre.
On ne voit pas pourquoi la BCE garderait une posture aussi accommodante alors que les déconfinements s’enchaînent en zone euro et que la vaccination produit ses effets sur les systèmes de santé…mais on ne voit pas non plus l’urgence de durcir le ton avant la Fed avec un cycle économique un peu décalé. Cette spéculation sur le prochain communiqué de la BCE peut pousser les indices à une petite consolidation (sachant également que les anticipations de reprise économique apparaissent déjà bien dans les cours actuels) mais elle ne devrait pas impacter la trajectoire moyen-terme des indices qui devrait rester bien orientée.
La « value » a déjà bien progressé et a même largement surperformé la « growth » ces derniers mois et il est difficile de considérer que la tendance puisse s’inverser, tant que nous sommes en phase de reprise économique avec le thème des taux et de l’inflation en toile de fond. Le potentiel de hausse moyen-terme pour les indices européens, plus sensibles aux valeurs cycliques, semble toujours bien présent.
Alexandre Baradez, responsable de l’analyse marchés chez IG France
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