Stocks des entreprises historiquement bas, relance budgétaire synchrone dans les différentes zones économiques, hausse nécessaire du prix des matières premières polluantes pour inciter à la substitution énergétique... Il existe aujourd'hui une conjonction de facteurs inflationnistes. Mais derrière ces facteurs, les conditions de l'inflation sont d'abord rendues possibles par le fait politique.
L’environnement est inflationniste. D’une part, la transmission de la politique monétaire est aujourd’hui radicalement différente de celle qui prévalait avant la crise. Avant, les liquidités injectées restaient dans le système financier en raison de la forte aversion au risque des banques et des entreprises. Désormais, la création monétaire se déverse dans l’économie réelle en raison des commandes publiques.
Conjonction de facteurs inflationnistes
D’autre part, les économies sont confrontées à une combinaison inédite de facteurs conjoncturels et structurels qui soutiennent les prix. Ainsi, les stocks des entreprises sont historiquement bas, leur permettant dorénavant de répercuter les hausses du prix des matières premières sur les prix de vente. Ce comportement est déjà très perceptible dans plusieurs secteurs comme l’automobile. Par ailleurs, les impulsions budgétaires synchrones ont vocation à persister pour financer les transitions environnementale, digitale et démographique (inégalités en hausse, besoins éducatifs). Nous pourrions aussi évoquer d’autres facteurs comme la hausse nécessaire du prix des matières premières polluantes pour inciter à la substitution énergétique, la reconstitution de l’indépendance stratégique des grandes économies ou le vieillissement de la population qui auront un impact durable dans la formation des prix.
Face à la hausse des prix, beaucoup considèrent que les banques centrales constituent le « pare-feu ». Sans aucun doute, elles sont crédibles dans la lutte contre la très forte inflation. En particulier, la Fed dirigée par P. Volker avait fortement augmenté son taux directeur à partir de la mi-1979, provoquant simultanément une désinflation et une hausse du chômage. Cependant, tant que l’inflation n’est pas hors de contrôle, les banques centrales retardent les hausses de taux pour ne pas provoquer un retournement conjoncturel.
Aujourd’hui, la Fed sous-pondère volontairement les évolutions de l’inflation par rapport à celles de l’emploi. D’abord, elle considère qu’elle a désormais un rôle à jouer dans la réduction des inégalités ce qui se traduit par une appréciation inclusive du marché de l’emploi (elle distingue les taux de chômage selon les communautés). Ensuite, elle ne prendra pas le risque d’amoindrir les effets des soutiens budgétaires par un durcissement inapproprié de sa politique monétaire.
Comme dans les années 60, l’influence du politique sur les décisions monétaires
La situation actuelle rappelle à bien des égards celle prévalant aux États-Unis au milieu des années 60 lorsque démarre l’inflation. A l’époque, l’inflation est provoquée par une politique budgétaire expansive pour financer à la fois l’effort de guerre au Vietnam et les dépenses sociales de la « Grande Société » de L. Johnson cherchant à lutter contre les tensions sociales et communautaires. La Fed était indépendante dans ses statuts, mais dans les faits, la coordination des politiques économiques s’est traduite par une forte influence du pouvoir politique sur les autorités monétaires. Et ce d’autant plus que les banquiers centraux américains de l’époque pouvaient difficilement assumer seuls un retournement conjoncturel en durcissant les conditions monétaires, sachant que l’inflation restait « acceptable collectivement ».
Milton Friedman considérait que « l’inflation est partout et toujours un phénomène d’origine monétaire ». En fait, « l’inflation est partout et toujours un phénomène d’origine politique » ! D’abord, le fait générateur de l’inflation est une décision politique : conflit, libéralisation des prix post-guerre, impulsion budgétaire… Ensuite, cette inflation est tolérée par la banque centrale – tant qu’elle n’est pas hors de contrôle – parce qu’il est politiquement trop coûteux de lutter contre.
Par Christophe MOREL, Chef économiste chez Groupama AM
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