La Commission Européenne a récemment clôturé sa consultation sur sa stratégie finance durable. Sur la base des contributions recueillies, la Commission présentera une nouvelle stratégie qui servira de clé de voûte au cours des prochaines années, à mesure que le cadre réglementaire de l'Union Européenne sur la finance durable évoluera.
Mirova a salué le premier plan d'action de la Commission qui a contribué à ouvrir la voie à l'organisation d'un marché financier durable. De la taxonomie de l'UE aux mesures de reporting et au projet d'écolabel européen, d'énormes progrès ont été ou seront bientôt réalisés par la Commission, qui a abordé la question de l’investissement durable avec la bonne philosophie : l'impact financier et le financement de la transition vers la durabilité.
Nous pensons que la nouvelle stratégie de l'UE en matière de finance durable pourrait même aller plus loin, en impliquant tous les acteurs financiers - les banques en premier lieu - et en s'attaquant au mode de fonctionnement des marchés financiers traditionnels. Elle devrait également veiller à ce que les flux d'investissement reflètent correctement les préférences des investisseurs en matière de durabilité.
Soutenir le secteur bancaire pour financer la transition vers une économie low carbon
Le premier plan d'action pour la finance durable, lancé en mai 2018, concernait principalement les investisseurs institutionnels, les gérants d'actifs et les assureurs. Cependant, comme l'a noté le HLEG dans son rapport intermédiaire de juillet 2017, les banques restent l'épine dorsale et les premiers prêteurs du système financier européen, même si "à ce jour, la contribution potentielle des banques au développement durable a été sous-estimée". Depuis trois ans, la situation n'a pas beaucoup changé. Le financement des banques doit désormais devenir un élément central de la nouvelle stratégie de la Commission.
À l'heure actuelle, il est difficile de dire dans quelle mesure les bilans des banques sont favorables au développement durable. En effet, il manque encore des données sur l’apport concret des politiques de durabilité, de plus en plus mises en œuvre par les banques, au financement de la transition écologique. En ce qui concerne le climat, une plus grande transparence sur le "vert" tel que défini par la taxonomie de l'UE et sur le financement des énergies fossiles serait une condition préalable importante. Évaluer l’alignement de ces investissements sur l’Accord de Paris, conformément aux informations fournies par certains gérants d'actifs, contribuerait également à renforcer l'implication du secteur financier dans les questions climatiques. Ce manque de transparence s’applique également à d'autres indicateurs ESG tels que la biodiversité, les droits de l'homme et les inégalités. Le renforcement des exigences en matière de transparence peut être complété par des mesures visant à modifier l’allocation du capital, afin de limiter les investissements dans des activités non durables et de favoriser les investissements dans des actifs positifs, par exemple par le biais d'un "Green Supporting Factor".
Intégrer les marchés financiers traditionnels dans une approche finance durable
Le premier plan d'action de l'UE mettait l'accent sur les produits financiers durables ; le développement d'un tel marché est essentiel pour stimuler la transformation du secteur financier. Toutefois, la transformation du système financier nécessitera d’insister sur le fonctionnement même des marchés financiers traditionnels.
Une grande partie de l'industrie financière a conservé une vision à court terme et se livre à des activités spéculatives. On peut se demander comment des pratiques telles que le trading à haute fréquence, les dark pools, la vente à découvert, le prêt de titres et certains produits dérivés complexes jouent un rôle pertinent dans le financement de l'économie. Le plan de la Commission doit comporter des considérations sérieuses, y compris éventuellement une réglementation renforcée, concernant ces pratiques.
Au-delà des pratiques spéculatives, la gestion passive doit également être prise en compte par la Commission. La gestion passive est populaire car relativement peu coûteuse. Mais, par définition, la gestion passive indicielle n'implique aucune décision d'investissement individuelle. Les marchés financiers ne peuvent donc pas définir correctement les prix sans la participation d'investisseurs actifs et une croissance non plafonnée de l'investissement passif peut entraîner de graves défaillances du marché. Les investisseurs institutionnels doivent au moins être tenus de faire preuve de transparence quant à la répartition de leur allocation entre gestion passive et gestion active. L'UE peut également se demander si les investissements actifs et passifs doivent être considérés de la même manière d'un point de vue réglementaire. Investir dans des indices de marché conventionnels qui ignorent les questions environnementales et sociales dans leur construction renforce les investissements "business as usual", incompatibles avec le financement d'une économie durable. Outre le développement d'"indices durables", il convient de réfléchir à l’ajout de considérations ESG dans tous les indices de marché.
Prise en compte des préférences ESG des investisseurs
Le travail entrepris sur MIFID et IDD a été crucial pour aligner le secteur financier en général et le secteur de la gestion d’actifs en particulier sur les préférences et les objectifs des citoyens de l'UE. Il s'agit d'un sujet complexe pour lequel l'approche éducative doit être double : interroger les investisseurs retail sur leurs préférences en matière de durabilité d'une manière simple et compréhensible, et leur expliquer ce que chaque produit d'investissement peut ou ne peut pas leur apporter à cet égard.
Les questions posées aux investisseurs particuliers doivent être formulées de manière à leur permettre d'exprimer une préférence sans devenir trop complexe : ont-ils une préférence pour la durabilité plutôt que pour les performances financières ? Se soucient-ils davantage des questions environnementales, sociales ou de gouvernance ? Veulent-ils exclure certains secteurs ? La manière dont les questions seront posées et les réponses apportées est particulièrement importante. L'UE doit travailler en collaboration avec la société civile et les acteurs du secteur pour trouver le bon équilibre. Elle doit également s'efforcer de définir une hiérarchie simple entre les préférences ; des précisions excessives s'avéreraient ingérables tant pour les conseillers financiers que pour les gérants d'actifs.
L'offre pour répondre aux préférences en matière de durabilité doit être simple, claire et garantir la qualité de la durabilité par des labels et des normes. Les investisseurs particuliers doivent pouvoir être informés du type d’impact qui peut être obtenu pour chaque classe d’actifs. Des solutions de labellisations fiables telles que l'écolabel européen sont essentielles. En outre, il convient de donner davantage de garanties aux investisseurs sur le niveau de qualité ESG associé aux autres produits ESG / durables / verts / ISR, car à ce jour, ils ne sont ni bien définis ni contrôlés au niveau de l'UE. Il s'agissait là d'une recommandation initiale forte du HLEG. Elle doit être relancée et reprise par la Commission.
Enfin, il doit être possible de prendre en compte les préférences environnementales ou sociales sans porter préjudice à un autre objectif de durabilité. Les investisseurs particuliers ne doivent pas avoir à choisir entre "investir dans des actifs à faible intensité de carbone" et "préserver des emplois". La mise en œuvre du principe "doing no significative harm" peut être étendue, par exemple, à la dimension sociale, lorsque le produit a un objectif environnemental. Cela permettrait de garantir qu'aucun "conflit de valeurs" ne soit imposé aux investisseurs finaux. Cependant, la Commission doit rester vigilante : la nécessité de prendre en compte les aspects sociaux ne doit pas être utilisée comme un moyen de développer des produits "durables" de mauvaise qualité environnementale. Il n’y a aujourd’hui plus de place pour une transition lente et progressive dans la crise environnementale à laquelle nous sommes actuellement confrontés.
Pour la phase II, nous espérons que la Commission maintiendra sa grande ambition de transformer l'industrie financière. Nous sommes convaincus que la situation difficile que nous connaissons actuellement est aussi un bon moment pour se fonder sur les attentes des consommateurs et accélérer le passage à un système financier plus durable.
Par Philippe Zaouati
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