Approches d’investissement, changements réglementaires, problématiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) sont au cœur des discussions en matière d’investissement. Le secteur de l’investissement doit réagir à la demande accrue des investisseurs et à la surveillance renforcée des autorités réglementaires sur les questions ESG. Dans cet entretien croisé, trois experts ESG de Vontobel nous livrent leur point de vue sur les problématiques ESG appliquées aux marchés émergents. Sudhir Roc-Sennett, Head of Thought Leadership & ESG au sein de la boutique Quality Growth basée à New York, Lara Kesterton, Head of mtx ESG Research chez Vontobel et Carl Vermassen, gérant de portefeuille spécialisé dans les obligations émergentes en devises locales, échangent leurs points de vue sur les enjeux et les atouts de l’investissement axé sur les critères ESG dans les marchés émergents.
Sudhir, comment l’approche ESG crée-t-elle de la valeur ajoutée dans votre classe d’actifs ou processus d’investissement ?
Sudhir Roc-Sennet : Pour nous, l’approche ESG est une composante à long terme de l’investissement qui, si on l’ignore, peut entraîner des risques accrus ou une sous-performance. L’approche ESG et la valeur ajoutée qu’elle crée pourraient être considérées comme un bilan de santé : elle identifie et règle les problèmes auxquels nous pourrions être confrontés afin de poursuivre une progression en bonne santé vers notre plein potentiel et éviter les problèmes susceptibles de devenir chroniques.
Dans la pratique, nous, en tant que gérants actifs aux portefeuilles concentrés et à l’horizon d’investissement à long terme, recherchons une croissance bénéficiaire durable susceptible de porter la performance à long terme de nos investissements. En d’autres termes, nous devons parfaitement connaître les fondamentaux des entreprises dans lesquelles nous investissons. De même, nos opinions et celles des entreprises doivent se rejoindre.
Observez-vous une convergence vers une norme ESG ?
Nous observons une approche ESG au niveau des actions qui associe certains éléments de l’approche européenne traditionnelle, qui est peut-être plus organisée, fondée sur les mesures et axée sur l’environnement, à l’engagement et à l’approche bottom-up plus anglo-saxons. Selon moi, cette convergence produit quelque chose de plus uniforme, avec des avantages mutuels pour les deux approches. Ceci crée une compréhension plus cohérente de l’efficacité des critères ESG. Je ne parlerais pas de « norme », mais plutôt d’une appréciation et d’une approche plus holistiques.
D’après votre expérience, quelles sont les caractéristiques d'un bon gérant ESG ?
La diversité des compétences et des expériences est essentielle. Je pense qu’il faut une équipe capable d’étudier les différents aspects d’une entreprise. Si tous les analystes ont le même parcours, la probabilité qu’ils passent à côté de quelque chose est plus élevée. Donc, il est important d’avoir une équipe solide par rapport au nombre de titres couverts. En règle générale, chaque analyste couvre moins de 10 actions, une méthode qui a payé jusqu’à présent, dans la mesure où elle nous permet de passer plus de temps sur chaque titre et d’approfondir nos recherches.
Nous avons donc des collaborateurs dotés de compétences en analyse quantitative, des spécialistes en fondamentaux et d’anciens journalistes d’investigation. Nous avons également une grande diversité des origines géographiques avec 10 langues parlées au sein de l’équipe, ce qui nous permet de considérer un sujet sous de nombreux angles différents et d’identifier des risques ou des opportunités qui auraient pu être négligés si le groupe avait été moins diversifié.
Pouvez-vous citer un exemple concret des avantages que procure une équipe aussi diverse ?
Bien sûr, par exemple, trois des membres de l’équipe sont d’anciens journalistes d’investigation aguerris. Leurs compétences complètent parfaitement la recherche fondamentale. Ils sont généralement bien plus à l’aise dans les relations interpersonnelles qu’avec les chiffres. Ils effectuent énormément d’enquêtes sur le terrain : problèmes réglementaires, relations controversées avec les sous-traitants ou encore vérification d’antécédents sur un potentiel futur CEO.
Est-ce que l’approche ESG est plus difficile à appliquer dans les marchés émergents que dans les marchés développés ?
Oui. La gouvernance est exposée à des risques réglementaires dans la mesure où dans les marchés émergents, les autorités ne protègent pas aussi activement les actionnaires minoritaires, notamment étrangers. Autre thème sensible, le contrôle. Dans les marchés émergents, les actionnaires de contrôle sont souvent des entreprises publiques ou familiales. Pour les investisseurs minoritaires, cela signifie qu’il ne faut pas seulement analyser l’entreprise, mais également prendre en compte les objectifs des actionnaires de contrôle. De toute évidence, il faut analyser l’entreprise, mais aussi comprendre les objectifs de l’actionnaire de contrôle et pas de seulement de l’entreprise tels qu’elle les publie.
Sudhir a rejoint Vontobel en 2010 et dispose de 30 années d’expérience dans l’investissement. Head of Thought Leadership & ESG pour la boutique Quality Growth basée à New York, il est l’auteur du blog Turning Stones, dans lequel il évoque les problématiques ESG en lien avec l’investissement.
Lara, comment l’approche ESG crée-t-elle de la valeur ajoutée dans votre processus d’investissement ?
Lara Kesterton : Pour nous, l’approche ESG n’est pas qu’une question de notation ou de cases à cocher : elle complète l’analyse fondamentale de l’entreprise par un examen approfondi des problématiques concrètes susceptibles d’avoir un impact significatif sur la performance de l’entreprise. Toute la valeur ajoutée réside dans la capacité à investiguer les problématiques les plus sensibles – du travail forcé chez les sous-traitants jusqu’aux irrégularités comptables, en passant par les interventions des entreprises d’Etat et les défauts de conformité. Tous sont des exemples récents de questions sur lesquelles nos analystes financiers ESG et sectoriels ont dû se pencher. Ce qui implique souvent d’échanger directement avec l’entreprise et de solliciter l’opinion de spécialistes comptables ou de courtiers externes qui connaissent bien l’entreprise.
Nous ne suivons pas une approche « best-in-class », en conséquence, les critères ESG ne prédéfinissent pas notre univers d’investissement. Notre approche consiste plutôt (et sur la base de recherches universitaires et quantitatives) à éviter les entreprises présentant des risques ESG significatifs non gérés. En tant que tels, les critères ESG forment l’un des principaux piliers de notre approche d’investissement. C’est ainsi qu’à partir d’un éventail étroit d’entreprises financièrement attrayantes (présentant en particulier un rendement du capital investi, ou ROIC, élevé), nos investigations ESG approfondies visent à exclure les entreprises les plus exposées aux pièges et aux chocs susceptibles de nuire à la performance. Notre recherche quantitative montre que, pour la stratégie d’investissement axée sur le ROIC, éviter les mauvais élèves en matière d'ESG se révèle particulièrement pertinent dans les marchés émergents.
Quelles sont les caractéristiques d’un bon gérant ESG ME ?
Il faut être systématique, concentré, aller au fond des choses et se forger sa propre idée de la performance d’une entreprise à partir de sources multiples. Attention de ne pas suivre aveuglément les notations ESG, sous peine de tomber dans différents pièges. Il faut tenir les clients informés : l’ESG étant une question sensible, il est important de communiquer régulièrement sur ce que vous faites.
Alors que nous suivons une approche systématique pour évaluer de manière objective la gestion des risques ESG des entreprises, nous devons garder à l’esprit le fait que les problématiques ESG sont encore récentes et évoluent rapidement. Par conséquent, il est important de lire beaucoup, de participer aux conférences dans le domaine, d’échanger de manière ouverte avec les autres et d’adapter son approche. Il existe de multiples manières d’aborder les problématiques, il n’y a pas une seule bonne façon de procéder. L’acquisition d’une connaissance approfondie du secteur et de la thématique peut aider à se repérer parmi les anomalies du monde réel qui n’entrent pas dans des cases prédéfinies.
Autre astuce : échanger avec les entreprises cibles si possible et mettre les problématiques ESG sur la table. Ceci permet d’obtenir de précieuses informations stratégiques sur la manière dont elles évaluent et gèrent les principaux risques ESG et le niveau de dialogue requis pour traiter ces sujets problématiques. En d’autres termes, des informations qui peuvent être plus difficiles à déchiffrer dans les rapports publiés. Le dialogue est particulièrement important dans les marchés émergents et en l’absence d’une approche « best-in-class ».
Quels sont les défis de l’approche ESG appliquée aux actifs émergents ?
Ils sont doubles : premièrement, les difficultés pour obtenir des données ESG impliquent qu’il faut redoubler d’efforts pour obtenir une analyse de la gestion des risques fiable, mais les résultats de ces investigations peuvent procurent un avantage sur la concurrence. Deuxièmement, les entreprises des marchés émergents tendent à être davantage exposées aux risques systématiques et spécifiques aux titres liés aux facteurs ESG. Les entreprises des marchés émergents présentent des risques ESG accrus en raison d’une réglementation et d’une mise en application moins strictes, de la surveillance moins étroite par la société civile et d’une culture du reporting moins prégnante que dans les marchés développés.
Autrement dit, les gérants actifs ESG doivent redoubler d’efforts pour se faire une idée précise de la gestion des risques. Selon notre analyse quantitative, une sélection ESG qui repose sur une approche « best-in-class » ou « top 50% » peut s’avérer judicieuse dans les marchés développés, mais préjudiciable dans les marchés émergents. Nous avons constaté que pour notre approche d’investissement dans les marchés émergents, l’exclusion des lanternes rouges ESG dégageait de la surperformance sur le long terme.
Quel rôle joue la bonne gouvernance dans les marchés émergents ?
La gouvernance est un pilier important dans les marchés émergents et permet souvent de distinguer les entreprises des marchés émergents et développés.
Dans les marchés émergents, l’indépendance du conseil d’administration est moins forte que dans les marchés développés. Il faut donc prêter une attention particulière à la qualité et à l’éventail des compétences des membres du conseil d’administration : sont-ils (car ce sont toujours en grande majorité des hommes) « à la botte » de la direction ou contrôlent-ils la gestion des intérêts des actionnaires minoritaires et autres parties prenantes ?
Les entreprises publiques et familiales sont plus répandues dans les économies émergentes. Ces structures d’actionnariat sont souvent associées à une sous-performance par rapport au marché car elles ont davantage tendance à privilégier des fins politiques, sociales ou privées au détriment de la valeur actionnariale.
Autre point sensible, les droits et la protection des actionnaires minoritaires, en particulier lorsque les structures de gouvernance minimisent leurs voix. En conséquence, il faut procéder à une analyse approfondie des antécédents du conseil d’administration concernant les intérêts à long terme des actionnaires minoritaires. Pour combler le manque d’information, il est important d’effectuer des recherches internes et de dialoguer directement avec les entreprises.
Lara a rejoint Vontobel en 2017 en tant que consultante ESG et dirige aujourd’hui la recherche ESG pour la boutique mtx. Elle a exercé la profession de juriste pendant cinq ans au sein d’un cabinet d’avocats londonien de premier plan, spécialisé dans la banque et la finance internationale. Titulaire d’une maîtrise en gestion des altérations environnementales de l’université d’Oxford, elle a travaillé avec un certain nombre de sociétés de private equity sur des investissements dans le domaine des énergies renouvelables.
Carl, quelle est la valeur ajoutée de l’approche ESG dans les marchés émergents et quels sont les défis qui se posent aux investisseurs en obligations souveraines ?
Carl Vermassen : Nous sommes profondément convaincus par l’approche ESG sur le plan normatif et au niveau du profil risque-rendement. Si l’on écarte l’aspect normatif (par normatif, j’entends une force au service du bien), je ne vois pas quelle serait la différence entre une approche ESG et une bonne gestion d’actifs.
Donc, nous voulons que le normatif soit une force au service du bien. Nous souhaitons nous engager, mais pour nous qui travaillons avec des obligations souveraines, il est beaucoup plus difficile d’avoir un impact sur la gouvernance d’un pays qu’un gérant en actions sur la gouvernance d’une entreprise.
Tout le monde a sa propre opinion sur les pays émergents, sur la manière dont ils devraient faire de la politique, gérer l’économie ou diriger la société : ce n’est pas parce qu’un investisseur le pense qu’un pays devrait brutalement changer de cap. Toutefois, nous nous engageons sur le plan de gouvernance en rencontrant les responsables publics. Mais pour que ces échanges aient un réel impact, un seul gérant d’actifs ne suffit pas.
Nous pensons qu’adopter une bonne conduite améliore le profil risque-rendement à long terme dans les économies émergentes. Pour nous qui sommes spécialisés dans les obligations souveraines en devises locales dans une perspective ESG, la stabilité des pays émettant les obligations dans lesquelles nous investissons est un facteur essentiel. Tout le monde s’accorde à penser que les sociétés stables génèrent une croissance stable et que pour qu’il y ait une croissance stable, il faut une classe moyenne confiante. La plupart du temps, les autocraties ne s’intéressent pas vraiment à la classe moyenne, préférant améliorer les choses pour elles-mêmes. Elles créent une sorte d’élite acquise à leur cause et comptent une classe inférieure importante dont elles espèrent qu’elle le restera pour la bonne raison qu’une classe moyenne émergente tend à réclamer des droits. Une classe moyenne émergente a du pouvoir d’achat, ce qui stimule l’économie. Par conséquent, les pays qui pourraient être de mauvais élèves en matière d'ESG du point de vue des marchés développés, mais qui bénéficient d’une classe moyenne émergente, sont intéressants. Selon nous, les actifs émergents peuvent faire davantage la différence que les actifs développés. La plupart des marchés développés étant très « ESG » en comparaison avec les économies émergentes, il reste beaucoup à faire dans ce domaine dans les marchés émergents.
Les obligations souveraines émergentes diffèrent des obligations d’entreprises et des actions. Pouvez-vous présenter votre approche ESG en matière d’obligations souveraines émergentes ?
Les critères ESG jouent un double rôle dans notre approche. Premièrement, l’exclusion : nous n’investissons pas dans les pays considérés comme autoritaires par Freedom House. Et ce n’est pas rien. Par exemple, les indices JP Morgan ESG excluent quelque 6%, dont la Russie, la Turquie et la Chine, tandis que nous en excluons la totalité, ce qui fait une grande différence. C’est aussi la raison pour laquelle nous affirmons ne pas pratique une gestion axée sur l’évolution de l’indice de référence. Nous considérons l’indice de référence comme un pair moyen, mais ne passons pas notre temps à adapter notre gestion à l’évolution de celui-ci. Voilà pour le pan « exclusion ».
Deuxièmement, l’approche « best-in-class » dite modifiée. Il s’agit de notre modèle de classification. Pourquoi « modifiée » ? L’approche « best-in-class » traditionnelle tient compte des indicateurs et du classement des pays. Elle risque donc de passer à côté des 10%, 25%, voire 50% des pays moins risqués. Ce n’est pas notre cas. Les pays non autoritaires restent éligibles à l’investissement, mais la note de durabilité moyenne, la note de durabilité pondérée de notre portefeuille doit être supérieure à un seuil de durabilité. Donc, en fait, nous pouvons investir dans un petit marché frontière non autoritaire qui est légèrement à la traîne sur les critères ESG généraux si nous compensons par des investissements dans des pays plus durables pour ramener la moyenne au-dessus de ce seuil de durabilité. Notre portefeuille reste ainsi à un niveau durable tout en nous permettant d’investir dans des pays présentant une amélioration continue des critères ESG.
Quels changements prévoyez-vous concernant l’attitude des investisseurs dans les marchés émergents à l’égard des critères ESG ?
Les investisseurs seront plus exigeants, c’est certain. Par exigeants, j’entends mieux informés. Ils seront attentifs au « greenwashing », par exemple, beaucoup d’entre eux le sont déjà. Ils exigeront aussi plus de transparence, ce qui est inévitable et une bonne chose. La réglementation imposera aussi plus de transparence, ce qui accentuera la pression sur les épaules des gérants d’actifs et nécessitera plus de ressources. En somme, si vous revendiquez une approche ESG, vous devrez le prouver par un reporting fiable et détaillé.
Carl a rejoint Vontobel en janvier 2019 et dispose de près de 30 années d’expérience dans l’investissement. Titulaire d’un diplôme en sciences économiques appliquées délivré par l’Université d'Anvers, il est gérant de portefeuille senior spécialisé dans les obligations émergentes durables en devises locales.
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