Le marché obligataire étant le plus grand marché de capitaux au monde, la question de savoir comment les gérants peuvent investir de manière responsable, ou durable, est cruciale et constitue une préoccupation croissante pour les investisseurs. Le problème, surtout pour les nouveaux venus, est qu'il existe de nombreux facteurs complexes et changements réglementaires, et il n’est pas toujours évident de savoir par où commencer.
Pour simplifier les choses, commençons par les deux plus grands sous-secteurs du marché obligataire, les obligations d'État et les obligations d'entreprises. Juger si une entreprise ou un gouvernement agit de manière responsable et durable se résume essentiellement à un jugement de valeur. Contrairement aux notations de crédit, qui reposent principalement sur des mesures objectives telles que l'effet de levier, une notation ESG est beaucoup plus subjective. Bien sûr, de nombreuses données objectives, tels que les données sur les émissions, la diversité de la main-d'œuvre et les antécédents en matière de bonnes pratiques pour les parties prenantes, contribuent à former ce jugement de valeur - mais la façon dont vous pondérez ces données peuvent modifier radicalement le score final.
Tesla est un très bon exemple : s'agit-il d'une "bonne" ou d'une "mauvaise" entreprise du point de vue ESG ? La plupart des gens s'accordent à dire que les véhicules électriques ont le potentiel d'être une force positive importante pour aider à combattre les émissions de CO2, et c'est pourquoi certains scores ESG de Tesla sont élevés. . Au-delà des considérations relatives aux intrants énergétiques dans le processus de fabrication des voitures et les composants spécialisés pour les véhicules électriques qui sont plus gourmands en ressources, la structure de gouvernance de Tesla fait débat. Avec une très forte centralisation du pouvoir par Elon Musk, dont le comportement peut parfois être jugé “inhabituel”, peut-on considérer que Tesla garantira durablement le meilleur traitement des parties prenantes ? Ces préoccupations en matière de gouvernance sont l'une des raisons pour lesquelles Tesla n’est pas toujours bien noté sur certaines bases de données ESG.
Coca-Cola est un autre exemple : en tant qu'énorme utilisateur de plastique, l'entreprise est mal notée dans certaines bases de données ESG, mais bien notée dans d'autres, qui ne doivent manifestement pas accorder autant d'importance à l'utilisation du plastique. Comment alors se faire une opinion ?
Le choix de la base de données ESG utilisée, et/ou de la méthodologie employée, est donc une préoccupation majeure. Mais alors, quel est le périmètre couvert par ces bases de données « crédit » ESG ? Malheureusement, d'après notre expérience, il n’est pas assez large. Nos études montrent que la plupart des bases de données ESG tierces peinent à couvrir ne serait-ce que la moitié des marchés publics du crédit, en partie parce que de nombreuses obligations sont émises par des structures ad hoc, des entreprises mutuelles (sans but lucratif) ou des actions de petite capitalisation. Il n'est donc pas facile d'établir un score ESG pour un portefeuille de crédit typique. La plus grosse partie du travail revient souvent aux gérants eux-mêmes qui n’ont pas d’autre choix que de prendre le temps de faire cette analyse afin de garantir l’intégrité de leurs investissements.
Comment un service de notation de fonds tiers peut-il affirmer avec autorité que le fonds obligataire A est plus respectueux des critères ESG que le fonds obligataire B ? Serait-ce parce qu'il se trouve que le fonds obligataire A possède plus de Tesla et de Coca-Cola, qu'il considère lui-même comme des "bonnes entreprises ESG" alors qu’un autre service de notation peut affirmer que le fonds obligataire B est "meilleur" d'un point de vue ESG, précisément parce qu'il ne possède ni Tesla ni Coca-Cola. En fin de compte, seul l'acheteur final est en mesure de faire ces comparaisons de jugement de valeur entre les fonds, avec l’aide de la plus grande transparence des gérants.
Qu'en est-il des obligations d'État ? Combien de pays du G7, qui sont généralement au cœur des portefeuilles d'obligations d'État, non seulement achètent ou fabriquent des armes, mais les utilisent ou menacent de les utiliser ? Les gouvernements tiennent-ils généralement les promesses faites en période électorale ou finissent-ils par décevoir ? Dans le cadre d'un système de jugement de valeur, nous ne pouvons pas affirmer de manière catégorique qu'un gouvernement peut être considéré comme méritant d'être inclus dans un fonds ESG.
Toutefois, il existe un énorme facteur d'atténuation, à savoir les propriétés de réduction du risque que les obligations d'État ont tendance à offrir lorsque les marchés traversent des périodes de tension extrême. Prenons l'exemple de mars 2020 : les craintes liées au COVID-19 ont entraîné une vente agressive des actifs à risque, mais les obligations d'État ont en fait pris de la valeur, contribuant à protéger les investisseurs au moment où ils en avaient le plus besoin. Il convient donc d'établir une distinction claire : les fonds ESG ne doivent utiliser les obligations d'État qu'à des fins de couverture du risque, les investisseurs entendant généralement par là les taux de base tels que les bons du Trésor américain, les Bunds allemands ou les Gilts britanniques. En revanche, toute autre obligation d'État ne doit être incluse dans les stratégies durables que si elle a franchi le même seuil de notation que celui fixé pour les entreprises. Jusqu'à présent, aucun gouvernement que nous avons examiné n'a atteint ce seuil.
En définitive, nous pensons que les gérants obligataires peuvent très certainement investir de manière responsable. Cela demande du temps, de l'énergie et des ressources pour obtenir suffisamment de données de qualité afin de prendre des décisions éclairées.
Par Chris Bowie, Portfolio Manager chez 24 AM
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