Ne pas se laisser guider par la carotte fiscale, c’est le conseil d’Erwan Grumellon, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez SwissLife Banque Privée.
Qu’est-ce qui a changé en 10 ans de fiscalité ISF ?
Il y a eu une période de grande insécurité avec des changements incessants, depuis cela s’est un peu calmé. Je dirais que 1995 a sans doute été le « début de la fin » lorsqu’Alain Juppé a plafonné le plafonnement… Il y a eu ensuite le bouclier fiscal, mis en place en 2006 par le gouvernement Villepin, à 60% et abaissé à 50% par le Président Sarkozy en 2007.
Plafonnement, plafonnement du plafonnement, bouclier fiscal… bref, on avait fini par arriver à une situation d’une telle complexité que Nicolas Sarkozy a mis un terme en 2011 au bouclier et au plafonnement afin d’opter pour une solution plus simple, et certainement plus efficace aussi.
Avec le nouveau Président Hollande, on a assisté à un retour en arrière, avec le mot d’ordre « c’est un cadeau fait aux riches », en instaurant une « Contribution exceptionnelle sur la fortune » en septembre 2012 sur un ISF 2012 minoré quelques mois auparavant par M. Sarkozy…
Depuis 2013 on a une certaine stabilité avec le barème progressif et le plafonnement à 75% (sans plafonnement du plafonnement); si on laisse de côté bien sûr les tentatives de grignotages comme par exemple la taxation des gains des fonds en euros des contrats d’assurance vie qui a été censurée par le Conseil constitutionnel.
Aujourd’hui, quelles sont les stratégies pour gérer l’ISF ?
Le cadre réglementaire s’est normalisé, ce qui est une bonne chose, mais la question reste d’une grande complexité technique pour les contribuables. Je dirai qu’il y a 2 axes de travail : travailler sur la base et les exonérations ou travailler sur les réductions.
Coté base, que peut-on faire ?
Il existe plusieurs modalités pour alléger la base d’imposition. On peut « s’appauvrir » en réalisant des donations en pleine propriété, voir en usufruit. Certes les montants des abattements fiscaux ont été réduits au fil du temps, mais on peut toujours donner, aujourd’hui, en franchise d’impôt 100.000 euros par parent et par enfant tous les 15 ans, contre 159.000 euros tous les 6 ans il y a quelques années. Bien sûr si on est un couple, on peut doubler le montant de la donation en franchise.
Mais certains contribuables répugnent à opérer une donation en pleine propriété. Dans ce cas, on peut s’orienter vers une donation d’usufruit temporaire, ce qui a pour effet de transférer temporairement les flux de revenus du bien et de sortir la totalité de la valeur du bien en pleine propriété de son ISF en la transférant dans l’assiette taxable de l’usufruitier. Rappellons que les donations avec réserve d’usufruit n’ont aucun impact en matière d’ISF.
Et puis il y a l’autre grande approche : investir dans des actifs qui bénéficient de l’exonération totale ou partielle, c’est le cas avec un actif professionnel qui ne sera pas soumis à l’ISF, sous certaines conditions. C’est séduisant mais assez difficile à mettre en place, il faut être vigilant. On ne s’improvise pas par exemple gérant d’hôtel comme ça, il y a un risque entrepreneurial : il y a eu des succès story mais aussi des opérations mal ficelées qui se sont révélées catastrophiques pour les contribuables.
Enfin il faut mentionner les placements atypiques : œuvres d’art, vins, bois et forêts… Dans ces domaines, il convient d’être très vigilant et de préférence être accompagné de professionnels. Par exemple, dans l’investissement en Bois et Forêts, il ne faut pas négliger la partie gérance d’une forêt... D’une manière générale, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un placement, et comme tout investissement, il faut bien évaluer ses risques. Attention également, le jour où la carotte fiscale est supprimée, cela risque d’avoir un effet sur la valorisation de votre actif en raison d’une éventuelle suroffre.
Et côté réductions ?
Il existe essentiellement 2 pistes : les donations à des fondations et l’investissement dans les PME. Pour l’investissement dans les entreprises, le gain fiscal varie selon que l’on investit en direct ou via des FIP ou FCPI. Dans le premier cas, on peut réduire son ISF de 50% des sommes investies avec un plafond de 45.000 euros, soit 90.000 euros investis. Dans le second cas, la réduction est limitée à 18.000 euros.
Mais là encore, la carotte fiscale ne peut pas être la seule motivation lorsqu’on réalise ce type d’investissement… L’investissement doit avoir une valeur intrinsèque indépendamment de l’avantage fiscal.
FL/EF