Le ballet des vols diplomatiques au-dessus de Tel-Aviv ne remédie pas, pour le moment, aux affrontements en cours dans la région. Les inlassables tours de vote à Washington ne permettent toujours pas d’élire un chef, un speaker, à la chambre des représentants, malgré les urgences du moment. Le sommet sur l’initiative « routes de la soie » à Pékin voit Vladimir Poutine poser crânement aux côtés de Xi Jinping, dans une posture de défiance assumée envers la Cour pénale internationale – si « internationale » que la Chine ne la soutient pas.
Ces quelques instantanés, parmi tant d’autres, illustrent l’état de fracturation profonde du monde. Non seulement entre démocraties et régimes autoritaires. Mais au sein même des pays démocratiques, entre libéraux et anti-libéraux ; entre Démocrates et Républicains ; entre « pro-ESG » et « anti-ESG » (ou entre « platistes » et « non platistes » !).
Pourtant certaines institutions clés fonctionnent toujours aussi bien que possible. C’est le cas de nombre d’entreprises, d’associations et … des banques centrales !
Du côté des entreprises, la saison des publications qui s’ouvre en témoigne à nouveau : certaines d’entre elles sont dans une forme étincelante ! NETFLIX par exemple a vu son nombre d’abonnés croître davantage qu’attendu, malgré des hausses de tarifs significatives. NOVO NORDISK enregistre des succès remarquables avec ses médicaments contre le diabète ; son action progresse de près de 50% cette année. Tout comme, dans le même secteur aux Etats-Unis, ELI LILY & Co (40% annuels sur 5 ans).
Du côté des banques centrales, les exemples de fonctionnement bien huilé sont également abondants. Très attentives aux données d’inflation, elles réagissent avec tact aux inflexions économiques, sans se précipiter ni tarder. On a ainsi vu la Banque d’Angleterre éviter de monter une nouvelle fois ses taux – contre toute attente – jugeant que l’inflation suivait sur le moyen terme une trajectoire plutôt rassurante, même si des soubresauts de court terme restaient à craindre. On a vu à l’inverse la banque centrale américaine durcir le ton – sans pour autant appliquer de nouvelles mesures draconiennes – lorsqu’elle a constaté que le marché de l’emploi restait dans un état de tension excessivement élevé. On a même vu la banque centrale turque tirer des leçons de ses échecs passés à juguler l’inflation, montant drastiquement ses taux, renversant ainsi des années de politique monétaire non orthodoxe – et dépourvues de succès.
Si les banques centrales ne sont certes pas immunes aux égarements, si parfois elles doivent combattre les crises qu’elles ont elles-mêmes engendrées – comme l’excès de liquidité déversé pendant l’épisode du Covid, qui explique en partie l’inflation – les Etats ayant également leur part de responsabilité – l’histoire montre donc qu’on peut les créditer dans l’ensemble d’un degré de fiabilité élevé, et d’une capacité à corriger leurs erreurs de trajectoire. Si une nouvelle crise systémique menaçait, il y a fort à parier qu’elles la contreraient efficacement, rétablissant les flux financiers par-delà les fractures. Assurant in fine la liquidité des institutions clés, parfois même leur solvabilité.
Cela ne signifie pas que toute crise doive être éteinte. Certaines corrigent des excès contre-productifs. Ainsi les taux élevés vont-ils mécaniquement augmenter les défauts d’entreprises très endettées, dont le modèle de fonctionnement n’était de toute façon pas robuste. Les difficultés, y compris sociales, qui en résulteront hélas, déboucheront sur des opportunités pour d’autres acteurs. Le même ajustement s’appliquera à l’immobilier, qui en raison des taux bas captait une part historiquement hors norme de l’épargne, aux dépens de l’investissement productif.
Ruptures, reconfigurations et compétition sans répit sont consubstantielles à l’aventure humaine, à ses drames comme à ses réussites éclatantes. Même si le globe semble aujourd’hui particulièrement déchiré, le passé nous rappelle non seulement qu’il l’a toujours été, mais aussi que certaines institutions sont toujours suffisamment fonctionnelles pour que quelques failles mondiales soient comblées ou contournées, et les flux économiques, comme d’autres, rétablis.
Par Alexis Bienvenu, Fund Manager
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