C’est un véritable cadeau de Noël pour les financiers. Les projections des membres de la Fed du 13 décembre ont révélé une baisse inattendue des taux directeurs de 0,75 % en 2024. C’est d’autant plus surprenant, que cette banque centrale n’a officiellement pas terminé son cycle de durcissement monétaire. Lors de la conférence de presse, son président a d’ailleurs maintenu son discours de vigilance, soulignant les progrès du côté de l’inflation, mais la jugeant encore trop élevée.
Jerome Powell a aussi précisé que les projections n’étaient nullement une décision du FOMC (comité fédéral de marché ouvert) et que la Fed était prête à durcir davantage sa politique monétaire, si cela s’avérait être approprié. Cette rhétorique est à l’opposé des anticipations annoncée une demi-heure auparavant. Entre les deux versions, le marché a choisi son camp et a opté pour celui de l’assouplissement monétaire non officialisé. Cette perspective a constitué une brèche dans le rempart contre l’inflation, ouvrant la voie en séance à une forte baisse des taux obligataires et une forte hausse des indices actions américains.
Quand on analyse la décomposition des projections, seuls 2 membres sur 18 anticipent une stabilité des taux directeurs pour 2024. La grande majorité, respectivement cinq et six, prévoit une baisse de 0,50 % et de 0,75 % l’année prochaine. Factuellement, les dissensions au sein de l’organisation sont minimes et l’assouplissement monétaire devrait bien voir le jour en 2024, sauf nouveau choc inflationniste imprévu. Cette perspective contraint les investisseurs à revoir leur copie dans leurs allocations pour plus d’actions et moins de monétaire, dont les rendements sont voués à diminuer au fil du temps. Les plus audacieux effectuent déjà des arbitrages pour plus de valeurs cycliques, et moins de valeurs défensives.
Ce mouvement est-il astucieux ou encore trop téméraire ?
Tout va trop vite. Le marché anticipe des taux courts monétaires américains à 3,81 %, contre 5,33 % aujourd’hui, soit une baisse de plus de 1,50 % ou le double de celle estimée par les membres de la Fed. Le début du cycle d’assouplissement commencerait le 20 mars, selon les opérateurs. Cela semble prématuré, à la vue d’une inflation sous-jacente encore à 4 % et un taux de chômage à 3,7 %. Néanmoins, en l’absence de toute éventualité de hausse de taux, les investisseurs peuvent se projeter à moyen terme et nous sommes bel et bien rentrés dans une ère d’expansion des multiples de valorisation, avec à la clé une hausse potentielle des actifs financiers. De plus, la forte baisse des taux longs depuis six semaines provoque une nette amélioration des conditions financières, rendant la politique monétaire moins restrictive, laissant espérer un redémarrage de l’économie plus rapidement.
Et la BCE dans tout cela ?
Le lendemain, soit le 14 décembre, Christine Lagarde tenait également une conférence de presse, à la suite de la réunion du Conseil des gouverneurs. Les taux directeurs sont restés inchangés et la tonalité du discours était identique à celui de Jerome Powell, à savoir que l’inflation a ralenti, mais devrait rebondir à court terme, avant de refluer à 2,7 % en 2024. L’économie est atone et devrait se redresser graduellement, pour afficher une croissance du PIB de 0,8 % l’année prochaine. Néanmoins, la BCE a décidé de mettre progressivement fin à ses programmes d’achats d’actifs et de réduire l’encours détenu au sein du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP) en limitant ses réinvestissements d’ici mi-2024. Au second semestre, elle réduira de 7,5 milliards d’euros par mois la taille de ce portefeuille. En conclusion, aucune ouverture n’a été révélée et lors de la séance des questions et réponses, la présidente de la BCE a déclaré que l’institution agirait selon les données économiques et qu’il était trop tôt pour baisser la garde. Cette posture inflexible a fait effacer la quasi- totalité des gains en séance des marchés actions en Europe et a fait grimper l’euro contre le dollar à 1,10. En réalité, la BCE ne pourra plus lutter longtemps, et devrait céder face à la Fed, sinon la monnaie unique flambera, risquant de freiner davantage une économie déjà trop atone.
Par Arnaud Benoist-Vidal, gérant d’actifs.
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