Qu'est-ce qui fonctionne le mieux, la carotte ou le bâton ? En matière de transition énergétique, les décideurs politiques du monde entier étudient la question en temps réel.
D'un côté, nous avons les États-Unis qui, par le biais de la loi sur la réduction de l'inflation de 2022, ont introduit une grande quantité de subventions et de crédits d'impôt couvrant les énergies renouvelables, l'hydrogène, les biocarburants, le piégeage du carbone, les batteries, le hardware, les véhicules électriques, l'expansion du réseau électriques et les minéraux critiques. Il s’agit ici de la carotte. De l’autre, l'Europe associe maintenant maladroitement ses ambitions internationales à des taxes exceptionnelles et à une réforme du marché de l'électricité à venir. L'approche européenne a toujours été centrée sur un système de plafonnement des émissions pour les pollueurs, et un système d’échange dont le prix augmente de manière délibérée. Il s’agit ici du bâton.
Il ne s'agit pas de rabaisser ce que l'Europe a réalisé depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie : 80 % des importations de gaz russe ont été remplacées en huit mois, l'objectif européen de réduction de la consommation de gaz de 15 % a été dépassé, et l'éolien et le solaire ont vu leur capacité augmenter de manière exceptionnelle. Si l'on inclut l'hydroélectricité, c’est 40 % de l'électricité européenne qui est désormais renouvelable, soit nettement mieux que les 22 % des États-Unis. Les climats d'investissement dans chaque région commencent néanmoins à diverger de manière significative, avec des résultats visibles.
Prenons l'exemple de la société norvégienne Freyr. Lancée en 2018, l'entreprise a pour vocation originelle de fabriquer des batteries pour véhicules électriques (VE) en Norvège, permettant de capitaliser sur l'hydroélectricité et approvisionner l'industrie automobile européenne en pleine transition. La construction de la première giga-factory de l'entreprise a débuté en 2021 à Mo-i-Rana, en Norvège. Suite à l'annonce de la loi américaine sur la réduction de l'inflation en 2022, Freyr a pris la décision finale d'investissement de concevoir et mettre en place une usine à part entière dans l'État américain de Géorgie. Cette usine américaine est désormais sur la « voie de gauche », l'entreprise soulignant que 2,5 milliards de dollars sur les 8 milliards de dollars de valeur actuelle nette (VAN) du projet proviennent directement des subventions de l'IRA. En ce qui concerne l'usine norvégienne, la société indique plus timidement que « la construction de Giga Arctic se poursuit à un rythme mesuré, conformément aux dépenses d'investissement précédemment autorisées et dans l'attente d'une réponse de l'IRA norvégienne ».
Par ailleurs, Linde, la plus grande entreprise de gaz industriels au monde, gère un pipeline d'investissement de 50 milliards de dollars lié aux plans de décarbonisation de ses clients, mais la majorité de ce montant, soit 30 milliards de dollars, provient de projets américains. Car Linde produit de l'hydrogène, et si des subventions sont disponibles pour l'utilisation d'énergie renouvelable afin de produire de l'hydrogène vert, pour la capture du CO2 dans la production d'hydrogène bleu et pour la conversion de cet hydrogène en carburants alternatifs, comme c'est le cas aux États-Unis, il est facile de comprendre comment un tel déséquilibre régional peut se développer. L'accent mis par Linde sur l'ampleur des opportunités américaines est également remarquable pour une entreprise qui a retiré en mars ses actions de la cote allemande et pour n'être plus cotée qu'à Wall Street.
De manière plus générale, en termes de nouvelles capacités de production d'énergie renouvelable, les prévisions de l'industrie se concentreront autour de trois principaux centres d'activité (les États-Unis, l'Europe et la Chine) dans les années à venir. Toutefois, si l'on creuse un peu plus, des dynamiques intéressantes apparaissent.
L'une des données que nous aimons suivre est l'évolution dans le temps des attentes sur les niveaux d'activité. Cela nous permet de surveiller comment les autorisations de projets, les chaînes d'approvisionnement, l'inflation des coûts et l'appétit des entreprises pour le risque évoluent en réalité, par rapport à ce qui devrait théoriquement se produire selon les modèles.
Au cours de l'année écoulée, les prévisions de Bloomberg New Energy Finance pour 2024 concernant les installations éoliennes terrestres en Allemagne, en France, en Espagne et au Royaume-Uni ont été collectivement révisées à la baisse de près de 10 %. Dans le même temps, ces mêmes prévisions pour les États-Unis ont été revues à la hausse dans une proportion impressionnante de 30 %, tandis que la Chine a fait l'objet de révisions plus modestes, mais également à la hausse.
Évolution de l'activité d'installation d'éoliennes terrestres prévue pour 2024, au cours de l'année écoulée
Source: Bloomberg New Energy Finance
Comment les entreprises sur le terrain diagnostiquent-elles le problème ? Le PDG de Vestas, le plus grand fabricant d'éoliennes au monde, a déclaré au sujet de l'Europe lors d'une récente conférence sur les résultats : « Lorsque nous examinons le marché de la conception, et la manière dont les permis sont délivrés, nous constatons qu'il s'agit toujours d'un obstacle aux nouvelles installations. Un récent rapport fédéral allemand abonde dans le même sens, concluant que seule la moitié de la superficie nécessaire pour atteindre les objectifs de l'Allemagne en matière d'énergie renouvelable à l'horizon 2030 a jusqu'à présent été réservée pour un développement futur. Dans l'État le plus lent, la Hesse, le délai moyen d'approbation de la documentation relative à un nouveau projet d'énergie renouvelable a été de 27 mois, ce qui est remarquable. »
D'autres exemples concrets sont fournis par les expériences divergentes d'Orsted dans le domaine de l'énergie éolienne en mer aux États-Unis et au Royaume-Uni. En mars, l'entreprise a averti que Hornsea 3 au Royaume-Uni, qui devrait être le plus grand parc éolien offshore du monde lorsqu'il sera mis en service en 2027, aurait besoin de conditions révisées ou d'un meilleur soutien du gouvernement pour compenser l'inflation de la chaîne d'approvisionnement. Un débat similaire est en cours dans le New Jersey, sur un autre projet d'Orsted, et plus particulièrement sur la question de savoir si l'entreprise devrait être autorisée à conserver certains des crédits d'impôt fédéraux accordés dans le cadre de l'IRA, ou à les rétrocéder aux consommateurs d'électricité. La situation aux États-Unis s'est récemment résolue en faveur d'Orsted, tandis que le débat au Royaume-Uni continue.
Pour les plus de 200 entreprises que nous suivons au niveau mondial et que nous considérons comme des fournisseurs significatifs de solutions climatiques, nous calculons un PER attendu en 2024 de 21 pour les acteurs américains et de 17 pour les Européens. Il s'agit là d'une différence moindre que celle observée sur les marchés d'actions régionaux au sens large (le PER du Stoxx 600 est à 13, contre 20,6 pour le S&P500), mais nous devons garder à l'esprit que les entreprises de technologies propres devraient théoriquement être exposées aux mêmes moteurs de croissance structurelle, ce qui rend une décote régionale moins justifiable. Le marché dans son ensemble semble plus à l'aise pour payer la croissance des entreprises américaines que celle des entreprises européennes. Il n'est peut-être pas surprenant que le prix des actions américaines de technologies propres soit également plus élevé. Sur trois ans, l'action américaine médiane de notre univers d'investissement a progressé de 14,6 %, contre 9,8 % pour l’européenne.
Il est possible que l'Europe puisse rétablir l'équilibre grâce à sa loi « Net Zero Industry Act », qui fait actuellement l'objet de négociations. La proposition est de grande envergure et vise à simplifier les réglementations, à développer la fabrication de technologies et à accroître la compétitivité et la résilience de l'industrie liée au net-zéro. Tous ces objectifs sont louables, mais la réaction initiale de l'industrie a été mitigée quant à la portée et à l'ambition de la loi. Si l'on se fie au succès des États-Unis, le rythme, la simplicité et le maintien de nombreux crédits d'impôt pendant dix ans sont essentiels pour créer un environnement d'investissement attrayant.
La conclusion qui s'impose est que l'Europe a besoin de carottes, que ce soit sous la forme d'une simplification radicale de l'octroi des permis, de subventions plus fortes ou, plus vraisemblablement, d'une combinaison des deux.
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Par Michael Rae, gérant du fonds M&G Climate Solutions Fund et M&G (Lux) Climate Solutions Fund
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