A travers une série d’articles, Ophélie Mortier, responsable de la stratégie ISR chez DPAM, revient sur l’impact de la crise du coronavirus sur l’investissement durable et responsable.
Leçon numéro 2 : défendre une approche holistique où l’humain et l’environnement sont sur un même pied au centre des préoccupations.
Les phénomènes météorologiques, de plus en plus fréquemment extrêmes, ont eu tendance ces dernières années à placer le changement climatique au cœur des médias, des discussions, des débats, etc. Ce virage environnemental s’est également fait ressentir dans les préoccupations des investisseurs. Bien que liés à des drames humains et, dès lors, dépassant la dimension purement environnementale, il faut admettre - qu’aussi bien en matière d’obligation réglementaire qu’en matière d’obligation morale -, le climat et la responsabilité environnementale ont pris le dessus sur d’autres enjeux, notamment sociaux, sans néanmoins – et heureusement - les remplacer complètement.
Un œil rapide sur les derniers développements au niveau réglementaire et volontaire met en exergue l’importance de la responsabilité des investisseurs vis-à-vis du changement climatique : l’article 173 en France sur la contribution des investisseurs à la transition énergétique vers une économie appauvrie en carbone ; la taxonomie de la Commission européenne qui se concentre sur deux objectifs purement environnementaux ; la réglementation européenne des benchmarks bas carbone ; le regroupement Climate Action 100+ qui regroupe plus de 450 investisseurs soit plus de 40 trillions de dollars d’actifs sous gestion; l’initiative des banques centrales et autorités de contrôle mondiale (NGFS) qui reconnait le risque carbone comme formellement partie intégrante de leur responsabilité ; etc.
Il serait injuste de prétendre que les enjeux sociaux ont disparu des préoccupations et obligations des investisseurs. D’une part, la commission européenne a déjà annoncé qu’elle s’attèlerait à une taxonomie sur la question sociale dans un second temps. Plusieurs réglementations se concentrent sur la question sociale tout au long de la chaine d’approvisionnement (le drame du Rana Plaza au Bangladesh reste dans la mémoire de beaucoup) tel que le devoir de vigilance en France ou l’acte sur l’esclavage moderne au Royaume-Uni. Tout récemment M. Reynders, Commissaire européen de la Justice, a évoqué la possibilité d’une obligation fiduciaire pour les entreprises de leur responsabilité dans la défense des droits humains. D’autre part, les scandales du Rana Plaza dans le secteur du textile mais aussi les violations des droits des communautés dans des projets d’infrastructure colossaux ou le travail des enfants ont été au cœur des préoccupations des investisseurs responsables et éthiques. Mais, il faut le reconnaitre, la pandémie et les questions de santé liées ont remis au-devant de la scène la question Sociale avec un grand S ç’est-à-dire avant tout l’humain. Comme décrit dans notre article, si les facteurs sociaux ont toujours été pris en compte par l’investissement durable et responsable, son importance et donc son poids dans les grilles d’évaluation a varié d’un secteur à l’autre. Et a ainsi eu tendance à se concentrer sur les sous- traitants et la gestion des talents avant la question primaire de la sécurité et la prévention du capital humain. Les législations en matière de droit du travail, très approfondies dans nos économies dites développées nous auraient-elles fait oublier que la première force qui peut rendre une entreprise durablement performante sur le temps est son capital humain ?
Les experts environnementaux se sont prononcés : la contamination du virus COVID-19 de l’espèce animale à l’espèce humaine trouve sa cause dans la détérioration massive et rapide de notre biodiversité. Ceci démontre à quel point l’enjeu environnemental et l’enjeu humain sont étroitement liés. Une interconnexion depuis longtemps mise en évidence par les experts du risque du Forum Economique Mondial dans son rapport annuel sur les risques.
Nous référant à ce même rapport, il est également pertinent de rappeler que le risque de pandémies a été dans le top 10 des risques en termes d’impact en 2007 et encore en 2008.
Prendre des décisions exclusivement dans l’intérêt de l’environnement peut cacher des réalités sociales et humaines majeures. Ceci explique le concept d’une transition juste vers une économie carbone. Ceci explique également les mouvements des gilets jaunes en France par exemple quand la question climat est traitée comme isolée des autres enjeux. Ceci devrait alors expliquer et justifier une analyse approfondie des émetteurs d’obligations vertes afin que les objectifs d’un projet, tout aussi louables soient-ils, ne contribuent pas au financement d’autres activités ou comportements d’entreprises moins vertueux.
Comme évoqué dans notre outlook 2020, l’investisseur sera de plus en plus appelé à endosser – et à en faire preuve – sa responsabilité sociale, en particulier vis-à-vis du droit humain. Le commissaire européen à la Justice, M. Reynders a déjà annoncé l’introduction de règles obligatoires pour les entreprises sur le respect des droits environnementaux et humain d’ici 2021. Il est fort à penser que l’étape suivante, à l’instar de l’article 173 en France sur l’obligation de financer la transition énergétique, concernera les investisseurs et leur responsabilité à travers leurs investissements vis-à- vis de ces devoirs environnementaux et sociaux.
C’est également ceci l’évolution de l’investissement durable et responsable : d’une démarche de quelques pionniers il y a une quinzaine d’années, le mouvement s’est accéléré et la crise du COVID- 19 renforce cette tendance structurelle. Avec ce mouvement de niche vers le mainstream, les pratiques ont évolué, sont devenues plus robustes, etc. Ainsi, d’une démarche réputationnelle, l’investissement durable et responsable est passé à une démarche d’impact. Aujourd’hui, l’investisseur est appelé à inscrire son action dans l’environnement global et à démontrer son impact. La réglementation le conduit à répondre de sa responsabilité sociétale et réduire son empreinte et son impact négatif (intégration ESG). Ses valeurs et ses convictions peuvent l’inviter à répondre au-delà de son obligation dictée par la loi, et pro-activement de sa volonté de contribuer à un impact positif pour l’environnement dans toute sa globalité (investissement ISR).
Pour accéder au site, cliquez ICI.