La crise du virus Covid-19 peut-elle ouvrir une nouvelle fenêtre d’opportunités pour accélérer la transition écologique ? Alors que nombreux sont ceux qui rêvent le monde d’après, cette crise sanitaire illustre encore la grande difficulté que nous avons à prendre conscience de l’impact des dérives sociétales et environnementales sur le vivant.
Les statistiques parlent d’elles-mêmes et noircissent le tableau : si la prudence doit biensûr demeurer face à la pandémie Covid-19, à l’origine de plus de 540 000 décès dans le monde jusqu’alors1, le Sida, pourtant en fort recul, a encore fait 770 000 morts en 2018, la tuberculose est toujours en progression et a provoqué 1,3 million de décès, et les accidents de la route ont coûté la vie à plus d’1,3 million de personnes.
Mais selon l’OMS, le fléau qui surpasse tous ceux-là sont les pollutions environnementales. Désormais premier facteur de mortalité dans le monde, les pollutions de l’air, des eaux, des sols, mais aussi l’exposition aux produits chimiques, le changement climatique et les radiations ultraviolettes ont provoqué plus de 12,6 millions de décès dans le monde en 2018. A elle seule, la pollution de l’air a tué 7 millions de personnes sur la même année1...
Les scientifiques préviennent également que les conséquences du dérèglement climatique s’avèreront dramatiques si rien n’est fait. Chaque année ou presque, des records de température sont battus partout dans le monde. Si bien que, selon l’ONU en janvier dernier, la décennie écoulée a été la plus chaude jamais observée. Sur la trajectoire actuelle des émissions de dioxyde de carbone, nous nous dirigeons vers une augmentation de la température de 3 à plus de 5 degrés Celsius d’ici la fin du siècle et, avec elle, la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, une dégradation de la biodiversité à outrance (selon l’IPBES, notre planète est entrée dans sa 6e phase d’extinction de masse, extinction attribuable, pour la première fois, à l’Homme...), l’appauvrissement des sols agricoles et tout l’enjeu de l’alimentation qui en découle, pour ne citer que quelques impacts.
Début 2020, le Forum Economique Mondial avait d’ailleurs réalisé une cartographie des risques auxquels nos sociétés et notre planète étaient désormais majoritairement exposés : non seulement les risques de catastrophes naturelles, de perte de biodiversité, de changements climatiques, de températures extrêmes ou la crise de l’eau ont une probabilité de réalisation bien plus élevée que le risque de maladies infectieuses (dans lequel on classe le virus Covid-19), mais leur impact est également bien plus destructeur.
1 Source : Organisation Mondiale de la Santé, données COVID-19 au 5 juillet 2020, autres données à fin 2018.
Source : Editorial Cartoon by Graeme MacKay, The Hamilton Spectator – March 11, 2020
Au cours des dernières semaines, des moyens d’ampleur inédite ont été mobilisés pour réagir à la crise déclenchée par le virus Covid-19, et il faut saluer les décisions rapides et massives des gouvernements et la solidarité du monde économique. Force est de constater, toutefois, que la transition écologique n’avance pas au rythme souhaité, et souhaitable, et que les mesures prises sont insuffisantes. Alors que tout nous ordonne d’agir, saurons-nous faire preuve d’un engagement à la hauteur du risque environnemental que nous courrons ?
Chez Sycomore AM, nous sommes persuadés que la crise sanitaire n’est et ne sera pas un frein à la transition écologique. Bien au contraire, elle impose l’urgence d’agir pour plus de résilience de la société et des territoires. A s’y pencher de plus près, on assisterait même à un alignement des planètes en faveur d’une action plus forte, plus rapide pour l’environnement.
L’environnement s’invite au débat public
Petit à petit, l’idée que la sauvegarde de l’environnement est une problématique de la vie de tous les jours s’est imposée. La société civile s’empare du sujet et joue un rôle moteur dans la transition. Face à la menace du réchauffement climatique, de nombreux mouvements écologistes voient le jour, appelant les gouvernements à passer à l’action le plus vite possible. Fridays for Future, YouthStrike4Climate, Extinction Rebellion, le nombre de militants ne cesse d’augmenter. La jeune suédoise Greta thunberg est par exemple devenue une figure emblématique du mouvement mondial pour le climat et a convaincu des milliers de jeunes à travers le monde de manifester pour porter le message écologique.
Ces milliers d’initiatives individuelles et collectives transforment les modes de vie et orientent vers plus de solidarité et de sobriété dans les habitudes de consommation. La société civile fait d’ailleurs preuve d’une exigence croissante envers les entreprises pour davantage de traçabilité et de transparence, sur les produits consommés notamment. La 14ème édition du rapport d'Accenture Strategy, « Global Consumer Pulse Research », qui analyse les réponses de près de 30 000 consommateurs dans le monde, révèle que les consommateurs sont désormais attirés par les entreprises qui s'engagent à utiliser des ingrédients de bonne qualité (80%), traitent leurs collaborateurs avec équité (64%) et œuvrent pour le respect de l'environnement (62%). L’essor exceptionnel du marché de l’alimentation biologique en est une bonne illustration : dans le monde, le marché des produits biologiques a quasiment quadruplé en 10 ans pour atteindre aujourd’hui les 100 milliards d’euros2. Dans la même veine, l’engouement de masse pour le vélo comme moyen de transport citadin – et ce bien avant la crise sanitaire- est le reflet d’un nouveau mode de vie, d’autant plus qu’il est très efficace en ville, un vélo roulant en moyenne à 15 km/h contre 14 km/h pour une voiture !
Les plans de relance font la part belle aux enjeux de la transition écologique
Face à la mise à l’arrêt de l’économie par l’épidémie, l’orientation des plans de relance inquiète : comment ces milliards d’euros seront-ils injectés et quelle place sera accordée aux enjeux environnementaux ? Scientifiques et spécialistes évaluent aujourd’hui les besoins de financement pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) entre 5 000 et 7 000 milliards de dollars par an au niveau mondial3.
Alors que nombreux sont ceux qui se demandent si le Pacte Vert européen résistera à l’épreuve de la crise économique due à l’épidémie, la Commission européenne réaffirme que son Green Deal constitue la nouvelle stratégie de croissance de l’Union européenne. Objectif principal : parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050. S’il est pour le moment prévu de réduire les émissions de CO2 de 40% par rapport à 1990 d’ici 2030, cet objectif devrait être porté un cran au-dessus cet été, à une baisse de 50 à 55% des émissions à horizon 2030. Le vice-président de la Commission a affirmé que « l’urgence a même augmenté ». Il appelle à ne pas reconstituer l’économie du monde d’avant et confirme les engagements du Pacte Vert : 50 mesures à mettre en œuvre au cours des 30 prochaines années pour modifier en profondeur nos modes de vie et nos façons de produire, de travailler et de consommer.
Fin mai dernier, la Commission européenne a également présenté son plan de relance économique de l’Union européenne. La « Next Generation EU » représente 750 milliards d’euros sur 2021-2024 qui viendront s’ajouter au budget européen sur la période 2021-2027, et accorde une place inédite aux enjeux de développement durable. En effet, 25% de ces 1 850 milliards d’euros seront utilisés pour apporter des financements à l’accélération de la transition écologique et prendront en compte le « do not harm », une taxonomie européenne qui veille à ne pas causer davantage de dégâts et de souffrance via une action ciblée.
Ces investissements seront fléchés en priorité sur certains secteurs spécifiques :
- 350 milliards d’euros4 seront investis pour accélérer le rythme de la rénovation de l’habitat de 1% à 3% de la construction totale (isolation, efficience des systèmes de chauffage et de climatisation, de l’éclairage, qui seraient à l’origine de 30 à 40% des émissions de CO2) ;
- 35 milliards d’euros pour soutenir le développement des énergies renouvelables (15 GW additionnels, qui représenteraient 25% de plus que la capacité installée en 2019) ;
- 5 à 30 milliards d’euros investis pour financer le développement de l’hydrogène verte, tirée de l’énergie renouvelable et non du gaz naturel ;
- 40 milliards d’euros de financement pour développer les infrastructures ferroviaires ;
- 20 milliards d’euros d’incitations à l’achat de véhicules électriques ;
- 30 milliards d’euros investis pour développer l’économie circulaire (recyclage et substitution des plastiques notamment) ;
- 130 milliards d’euros pour financer l’installation de l’Internet haut débit en zones rurales pour faciliter la digitalisation de l’agriculture et accélérer la production organique.
3 World Investment Report, UNCTAD, 2014.
4 91 milliards d’euros investis avec un effet de levier de 350 milliards d’euros.
Les énergies vertes sont de plus en plus compétitives
Ces plans de relance constituent autant d’occasions de conforter les trajectoires de transformation. D’autant plus que la production responsable tend à prouver sa rentabilité économique à moyen terme.
Preuve avec les énergies renouvelables : elles sont de plus en plus compétitives, tant pour la production électrique que pour la production de chaleur, si bien que les aides publiques n’interviennent plus comme subvention mais comme accélérateur de capacité pour renforcer les opportunités de croissance des acteurs déjà bien avancés sur la courbe d’expérience des énergies renouvelables. A titre d’exemple, le groupe espagnol Solaria s’est spécialisé dès 2002 dans la conception, la fabrication et l’installation de solutions pour les systèmes photovoltaïques et thermiques. Il dispose aujourd’hui d’un portefeuille de projets bien rempli et de nombreux points de connexion au réseau qui lui confèrent un avantage comparatif indéniable.
Les progrès technologiques et l’industrialisation ont en effet amené ces filières, les plus matures, à des niveaux très concurrentiels par rapport aux moyens de productions d’énergie conventionnels. Dans le monde, leurs coûts de production baissent d’année en année. D’après les données recueillies par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) sur quelque 17 000 projets en 2019, depuis 2010, le coût de l’énergie a baissé de 82% pour le solaire photovoltaïque, de 39% pour l’éolien terrestre et de 29% pour l’éolien offshore. Cela incite bien sûr les Etats à poursuivre et à multiplier les projets « verts » pour encourager ces avancées. D’ailleurs, après avoir temporisé au cours des premières semaines de la crise, les grands fonds d’investissement européens dédiés à la transition énergétique, comme celui de la Caisse des Dépôts, sont de nouveau en ordre de marche, prêts à financer les meilleurs dossiers.
Le financement de la transition doit être porté par tous les secteurs de l’économie
Au-delà des incitations, des réglementations ou de l’offre, l’accélération de la transition écologique ne pourra se concrétiser sans un changement profond des comportements, des entreprises, des particuliers et des investisseurs. Heureusement, de nombreuses entreprises sont depuis longtemps très actives en la matière et montrent la voie, quand d’autres s’appliquent à prendre ce virage, à la fois pour participer à l’effort commun vers une mutation écologique vitale, mais aussi pour répondre aux nouvelles attentes de leurs clients.
Zoom sur ... l’énergie
Colonne vertébrale de tout développement visant à être durable, le secteur de l’énergie connaît un grand bouleversement qui nécessite l’accompagnement du secteur public et l’engagement sans faille des entreprises privées.
D’ici 2024, l’Agence Internationale de l’Energie estime que l’électricité devrait représenter 31% de la consommation finale d’énergie (contre 20% en 2018) et qu’elle sera à 65% d’origine renouvelable (26% en 2018). C’est dire la profonde transformation des sources d’énergie que nous utilisons.
Mais l’augmentation du renouvelable dans l’électricité et de l’électricité dans l’énergie a plusieurs implications, notamment en termes d’infrastructures. Elle suppose en effet la construction de réseaux capables de gérer et d’intégrer des sources d’énergie intermittentes, d’optimiser les flux dans un système décentralisé et de mettre en œuvre des systèmes digitalisés via lesquels la demande et l’offre seraient gérées en temps réel.
De nombreuses entreprises du secteur agissent depuis des années non seulement pour une énergie plus verte, mais pour une plus grande efficacité énergétique, une consommation raisonnable et raisonnée : les producteurs d’énergies renouvelables bien sûr, mais aussi toute la chaîne de valeur, des équipementiers à la gestion de la demande finale, sans oublier toute l’infrastructure de réseaux (câbles de transmission, interconnections, gestion des flux, solutions de stockage...).
Le groupe Schneider Electric par exemple, leader de la transformation numérique de la gestion de l’énergie, a accompagné l'ouverture de sa stratégie aux énergies renouvelables par l'évolution de son modèle économique. Il déploie depuis toujours davantage de services pour aider ses clients à prolonger la durée de vie de leurs installations. Ce modèle s’est avéré particulièrement résilient pendant la crise sanitaire et devrait bénéficier du renforcement des tendances à l’électrification et à l’automatisation. La société capitalise aussi sur sa stratégie digitale et finalise actuellement le rachat de RIB Software, spécialiste allemand des logiciels de construction, pour pouvoir fournir des solutions numériques et électriques pour les bâtiments intelligents.
On mentionnera également le groupe Alfen qui réalise un très bon parcours boursier depuis le début de l’année (le cours de la société a plus que doublé entre le 1er janvier et le 25 juin 2020) La société œuvre activement à un réseau électrique fiable et durable : elle propose des outils pour assurer une gestion intelligente des réseaux, conçoit des solutions de stockage de l’énergie optimisées et participe au développement d’infrastructures électriques capables de soutenir la progression d’une mobilité verte.
Zoom sur ... la mobilité verte
La mobilité est en effet une notion incontournable pour réfléchir à une ville plus intelligente et plus verte. En effet, les transports de personnes et de marchandises émettent encore aujourd’hui plus de 23% des gaz à effet de serre mondiaux et 40% de la pollution de l’air. Si les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 17% pendant la mise à l’arrêt des économies pour cause de confinement, cela est majoritairement dû à la diminution des transports routiers (comme l’illustre le graphique ci-après). Un bénéfice éphémère donc. Par conséquent, une transformation fondamentale de la mobilité des personnes et des biens est essentielle.
Le rail, passager et fret, s’affiche comme l’un des modes de transport les plus efficace d’un point de vue environnemental. Il ne représente que 2% de la demande en énergie pour les transports, alors qu’il transporte 8% des passagers et 7% des marchandises mondialement. A l’œuvre sur ce vaste chantier de la mobilité verte, les autorités publiques, main dans la main avec les grands acteurs du rail, du bus, du vélo et du véhicule électrique pour déployer des modes de transport public et privé plus propres, plus abordables, plus sains.
Évolution des émissions fossiles quotidiennes de C02 dans le monde (en %)
Source : Le Quere et al. Nature Climate Change (2020), Global Carbon Project
Le constructeur japonais Shimano, leader mondial des équipements pour vélos, profite de l’explosion de la vente de vélos en Europe - le marché européen représente 40% de ses ventes - et affiche une excellente performance boursière depuis le début de l’année (le cours a progressé de 16,89% entre le 1er janvier et le 25 juin 2020). La société bénéficie d’un large potentiel d'innovation et travaille actuellement à la conception de nouveaux composants liés à la santé, et plus précisément à la fréquence cardiaque des cyclistes.
Zoom sur ... la construction
Face à la croissance de la population mondiale, de plus en plus urbaine, l’impact de la construction et de l’immobilier sur le climat, les ressources naturelles et la santé est au cœur des débats. L’immobilier résidentiel représente aujourd’hui 36% des émissions de CO2 en Europe, et 70% des bâtiments font encore preuve d’une inefficience énergétique totale. Le plan de relance européen accorde donc une place de choix à cet enjeu de taille, d’abord comme source de réduction des émissions carbone, aussi parce qu’il constitue un levier de création d’emplois. Et puisque construire durable, c’est considérer l’ouvrage dans son ensemble, de la fabrication des matériaux à la déconstruction du bâtiment en fin de vie, beaucoup d'entreprises participent à améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, sur des problématiques telles que l’isolation, les systèmes de chauffage et de climatisation, les équipements électriques, les nouveaux matériaux alternatifs.
Davantage encore aujourd’hui, nous suivons de près les développements d’acteurs majeurs dans ces domaines, qui bénéficient de modèles de rentabilité solides :
Saint Gobain, qui conçoit, produit et distribue des matériaux que l’on retrouve partout, dans nos bâtiments, nos transports, nos infrastructures, nos industries ; Rockwool, producteur d’isolants en laine de roche, dont les ventes en 2019 devraient permettre à ses clients d’économiser 77 milliards d’euros en besoin énergétique, ou encore Legrand, spécialiste mondial des infrastructures électriques et numériques du bâtiment et qui place l’innovation au cœur de sa stratégie.
Innovation le ciment à faible empreinte carbone
A l’heure où l’industrie de la construction doit trouver les moyens de réduire son empreinte carbone, l’attention se porte sur la production du ciment, constituant de base du béton, puissante émettrice de gaz à effet de serre. Cette dernière est en effet à l’origine d’environ 7% des émissions de CO2 dans le monde. Jeune pousse française introduite en bourse en octobre 2019, la société Hoffmann Green Cement Technologies innove et produit une gamme de ciments à faible empreinte carbone. En effet, d’après les données visées par le Centre technologique et scientifique du bâtiment, le ciment H-UKR, l’une des trois références de la société, a un bilan carbone divisé par cinq par rapport à un ciment classique.
Cette PME vendéenne promet ainsi 80% de réduction des émissions carbone, comparé au ciment, tout en assurant une résistance mécanique comparable à celle des ciments traditionnels. Pour obtenir ce résultat, elle remplace la cuisson à 1 450 degrés par une réaction chimique, grâce à des activateurs qui sont le fruit de sa technologie brevetée. Hoffmann produit ainsi son ciment dans une cimenterie sans four ni cheminée.
Si cette alternative coûte encore deux fois plus cher que du ciment, ce surcoût reste acceptable dans la construction car le béton contient 7% seulement de ciment. L’entreprise a donc rapidement trouvé son marché : alors que les 25 premières tonnes de son ciment H-UKR ont été livrées en décembre 2018, la PME a tenu son objectif de production et de vente de 1 000 tonnes de ciment dès 2019. La société compte d’ailleurs construire deux nouvelles usines en France d’ici 36 mois et a pour ambition d’atteindre une capacité de production de 550 000 tonnes par an d’ici 2024.
Pour accéder au site, cliquez ICI.