Tribune Banque privée groupe Crédit du Nord – juin 2022 , par Stéphane MALJEVAC, Directeur de l'Ingénierie Patrimoniale au sein du Groupe Crédit du Nord.
Que désigne la « clause bénéficiaire » ?
Par cette clause bénéficiaire, le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie désigne à son décès celui, celle ou ceux (personne(s) physique(s) ou morale(s)) qui recevra (ont) les capitaux. Ce ou ces derniers sont dénommé(s) bénéficiaire(s).
Le contrat d’assurance-vie offre la possibilité de désigner les personnes que l’on souhaite gratifier en dehors de tout cadre successoral, c’est-à-dire hors les règles classiques de transmission prévues par le Code civil. En d’autres termes, l’assurance-vie permet de transmettre des capitaux, hors succession, sans aucune contrainte liée à la réserve héréditaire1. Il faut, tout de même rester prudent et bien se faire conseiller notamment concernant les versements de primes sur un contrat d’assurance à un âge tardif.
Les héritiers réservataires sont-ils irrecevables à remettre en question une clause bénéficiaire d’assurance-vie ?
Il est possible à des héritiers réservataires de chercher à remettre en cause les termes d’une clause bénéficiaire. Dans ce cas, ils peuvent tenter d’argumenter sur la prime manifestement exagérée par exemple, mais sans pouvoir s’appuyer sur les règles du Code civil relatives à la succession. C’est alors une procédure, sur le fond, bien plus difficile à mettre en œuvre et il est relativement rare que la jurisprudence prospère sur ce terrain quand le client qui verse des sommes sur son contrat d’assurance est en bonne santé et qu’il bénéficie d’une espérance de vie raisonnable.
Tout le monde peut-il être désigné bénéficiaire ou existe-t-il des exceptions ?
Par principe, toute personne physique peut être désignée bénéficiaire. Une personne morale peut l’être également. Il s’agit le plus souvent de fondations ou d’associations caritatives et dans ce cas, il est important que l’association ou la fondation visée soit très clairement identifiable aux termes de la clause bénéficiaire. Pour éviter toute contestation avec un organisme homonyme, vous devez y inscrire tous les éléments permettant de l’identifier avec précision : son nom, l’adresse de son siège social ainsi que la cause soutenue.
Par exception, le Code civil interdit à un certain nombre de professionnels de pouvoir être désignés bénéficiaires au titre de l’exercice de leur profession. Sans en dresser une liste exhaustive, les membres des professions médicales, paramédicales (masseurs, kinésithérapeutes, guérisseurs…), pharmaciens et autres auxiliaires de vie, qui ont pu prodiguer des services ou des soins à une personne dans le cadre d’une maladie ayant entraîné son décès sont exclus d’une possible désignation. L’exclusion s’applique également aux responsables religieux, conseillers financiers, mandataires judiciaires en charge de majeurs protégés, notaires…autant de professions susceptibles d’entretenir une relation de proximité avec le souscripteur du contrat d’assurance-vie.
Le bénéficiaire doit-il être informé de sa désignation ?
Il n’est pas nécessaire d’informer le bénéficiaire dans la mesure où le choix du souscripteur peut évoluer. Tant que le souscripteur dispose d’une conscience éclairée qui lui confère une capacité juridique, il peut, jusqu’à la fin de sa vie, modifier la rédaction de la clause et le ou les bénéficiaires désignés.
Que permet et prévoit une clause bénéficiaire démembrée ?
Le démembrement de propriété permet de réaliser une double transmission. En utilisant le démembrement, le souscripteur d’une assurance-vie désigne un bénéficiaire en usufruit (généralement le conjoint) qui va récupérer des capitaux lors du décès et les placer à sa guise dans un premier temps. Et les bénéficiaires désignés en nue-propriété (en général, les enfants) vont recueillir le capital placé, à terme dans un second temps. Toutefois, si le capital a été intégralement consommé alors il ne restera rien pour les nus-propriétaires. Si, en revanche, il a été placé ou s’il reste des actifs dans la succession de l’usufruitier, les nus-propriétaires vont pouvoir appréhender le capital ou faire valoir leur créance sur les actifs tombant dans la succession en exonération de droits de mutation. Quand il y a un intérêt patrimonial, ce mécanisme très intéressant.
Il est donc possible de transmettre des capitaux en usufruit ?
Oui c’est possible. En revanche, ce n’est pas une option que nous recommandons dans le cadre d’une famille recomposée, qui, peut présenter un terrain plus délicat. Dans ces situations, le risque est de se retrouver avec des enfants d’un premier lit qui vont disposer d’un droit de créance et tenter de l’obtenir dans une succession (celle de leur beau-père ou belle-mère), dans laquelle ils n’auraient pas naturellement de droits.
Qu’en est-il de la rédaction de la clause bénéficiaire ? Quelle option privilégier ?
Sous réserve que la rédaction soit claire et non sujette à interprétation, aucun formalisme n’est imposé. En effet, la rédaction des clauses bénéficiaires peut être guidée par la compagnie d’assurance qui peut proposer un certain nombre de clauses lors de la souscription du contrat d’assurance. C’est ce que l’on appelle, les clauses « standards » qui peuvent varier d’une Compagnie à l’autre et peuvent répondre ou non aux objectifs du client.
Ensuite, les clauses bénéficiaires peuvent être uniques et rédigées par le souscripteur. Dans ce cas, elles sont sur mesure et enregistrées auprès de la Compagnie d’assurance.
Enfin, les clauses bénéficiaires peuvent être rédigées avec l’aide d’un notaire et enregistrées directement au sein de l’étude notariale.
Il est donc essentiel de ne pas négliger la rédaction de la clause au motif qu’aucun formalisme n’est exigé. Personnes physiques ou morales doivent être désignées sans équivoque possible. Même le positionnement d’une virgule peut avoir son importance.
C’est-à-dire ?
Mal rédigée une clause bénéficiaire revient à prendre le risque que la volonté du souscripteur ne puisse pas être respectée et à occasionner des litiges.
Si la clause est interprétable, l’assureur se retrouve dans une situation où il lui devient impossible de verser les capitaux, sauf à s’exposer à une situation litigieuse. Il doit attendre qu’un juge se prononce et en cas de litige, cela peut prendre des mois voire des années.
Comme pour la rédaction d’un testament, il faut avoir bien conscience de la complexité du sujet. En cas de bénéficiaires multiples par exemple, il faut toujours éviter d’inscrire des montants qui peuvent évoluer dans le temps. Il est préférable de prévoir une répartition en pourcentages du montant des capitaux.
Et si le bénéficiaire décède avant le souscripteur ?
Il faut anticiper les prédécès. Souvent, lorsque l’on a des clients âgés, il nous arrive malheureusement de voir des situations dans lesquelles l’un des enfants est prédécédé. Dans ce cas, il est possible de donner aux petits-enfants, ou de répartir autrement les capitaux. Cela doit être clairement exprimé dans la clause bénéficiaire. Quoiqu’il en soit, il est nécessaire de toujours prévoir des bénéficiaires de substitution pour éviter que les sommes ne tombent dans la succession, au mépris du cadre favorable de l’assurance-vie.
Et si l’on divorce et que l’on avait désigné son conjoint ?
Il faut toujours éviter de désigner comme bénéficiaire son conjoint ou partenaire de Pacs par son nom. En cas de divorce ou rupture de Pacs, en cas de décès du souscripteur, c’est bien le bénéficiaire désigné qui va percevoir le capital quand bien même il serait remarié ou nouvellement pacsé avec quelqu’un d’autre.
Ainsi, il est toujours préférable de désigner son compagnon de vie par sa qualité : « mon conjoint » ou « mon partenaire de Pacs ».
A l’inverse, si l’on n’a pas d’engagement officialisé (concubinage) et que l’on souhaite désigner son partenaire de vie, il convient de le désigner par son nom.
Enfin, le nombre de bénéficiaires est-il limité ?
Absolument pas. Certains de nos clients prévoient d’ailleurs tous les scenarii possibles et désignent plusieurs bénéficiaires de premier, deuxième, troisième rang etc.
L’œil du professionnel
Souscrire un contrat d’assurance-vie permet d’organiser une transmission de capitaux hors des règles de dévolution du Code Civil et de bénéficier d’une fiscalité souvent plus favorable.
Il est possible de désigner le bénéficiaire que l’on souhaite à travers la clause bénéficiaire (à quelques exceptions près). L’attention accordée à la rédaction doit être la même que celle accordée à un testament.
1 La réserve héréditaire est la part des biens et des droits successoraux dont la loi garantit la transmission à certains héritiers dits « héritiers réservataires », à savoir, les enfants du défunt, en cas de présence d’enfant ; à défaut, son conjoint survivant.