Si la nature a horreur du vide, les marchés financiers ont horreur de l’incertitude. Et lorsque cette incertitude ne peut se remplir d’une réalité qui devient de facto certaine, elle se remplit de volatilité… C’est précisément ce que l’on remarque depuis quelques jours. En décembre, le consensus était tout à fait certain et enthousiaste à l’idée que les banques centrales baissent massivement les taux tout au long de 2024.
Mais en janvier, ces dernières n’ont fait qu’asséner qu’elles resteraient prudentes, attentistes, « data-dependent », comme le dit Madame Lagarde. Alors d’une certitude on est passé à une conviction pour passer aujourd’hui à une phase de doute que nous entamons probablement pour les prochaines semaines. Et encore cette semaine, la FED, bien qu’on puisse la comprendre dans tous les sens en fonction des mots et pans de phrase qu’on choisira de mettre en exergue, est plutôt revenue modérément sur son discours de décembre, suggérant qu’elle baisserait probablement ses taux en seconde partie d’année et de manière pondérée.
De plus, les statistiques du chômage et de la confiance américaine ne semblent pas indiquer de crise majeure, bien au contraire, avec un indice du Conference Board en hausse de 6.8 points et une baisse sur ses plus bas historiques d’un indicateur avancé du chômage : les « jobs hard to get » (sondage auprès des ménages américains demandant s’il est difficile de trouver un emploi). Seulement 9.8% ont répondu « oui » en janvier, soit les plus bas atteints depuis 1990, les pics étant plutôt autour de 45%/50% et la moyenne autour de 20%.
Difficile donc d’avoir des certitudes sur les baisses de taux… Pourtant, les prix de marché de beaucoup d’actifs intègrent déjà ces baisses de taux pour des raisons que nous n’expliquons pas, hormis 1/ les liquidités massives injectées par les banques centrales pendant une décennie et encore présentes dans les marchés financiers, 2/le biais d’optimisme des marchés.
Parmi ces prix valorisant déjà des baisses de taux importantes :
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Les obligations d’Etat longues : rappelons ici que le Bund 10 ans offre un peu plus de 2% de rendement alors que le taux BCE à 15 jours se situe à 4.5%. Même la Grèce à 10 ans offre désormais 3.2% de rendement malgré un endettement encore élevé de 167% du PIB.
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Par contagion, les obligations longues (entendons ici au-delà de 7 ans) d’entreprises de haute qualité de crédit, c’est-à-dire dont les primes de crédit sont faibles et les rendements très liés aux taux d’Etats. Par exemple, une obligation de notation A à 10 ans offrira actuellement 3.25% de rendement, soit à peu près la même rémunération qu’un compte à terme à 3 mois ou un fonds monétaire… pour 10 ans de risque complémentaire !
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Certaines actions dont les PER reflètent encore des rendements entre 2% et 5%, soit proche des taux obligataires
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Certains pans de l’immobilier, notamment résidentiel, dont les rendements peinent à grimper (c’est à dire les valorisation à chuter suffisamment) malgré le grippage du marché.
Il est rare que tout se corrige de manière mesurée, régulière et pondérée sur les marchés financiers, qui souvent traînent quelque temps avant de devenir quelque peu fébrile, puis corriger leurs excès d’un coup sec, souvent trop violent.
Il nous semble que nous sommes dans cette phase de fébrilité, qui se traduit généralement par des accès de volatilité ponctuels ou ciblés, et nous noterons ces derniers jours :
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La correction de 8% sur le titre BNP à l’occasion de sa publication excellente mais anticipant des objectifs 2025 difficiles à atteindre, tout comme d’autres variations tout aussi spectaculaires sur des entreprises comme Faurecia, Remy Cointreau ou RWE…
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L’inquiétude grandissante sur le secteur bancaire américain à la suite de la dégringolade de la New York Community Bank ( -43% depuis début 2024), qui rappelle les épisodes du début 2023 sur SVB et Signature Bank (reprise d’ailleurs par NYCB…)
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L’accès de volatilité sur les collecteurs de créances européens (Intrum, Garfunkel,…) , faisant baisser leurs prix obligataires de 3 à 10 points en quelques jours suivant les maturités
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Les variations sur les taux souverains, provoquant régulièrement des variations de prix sur les indices souverains de 30 à 75bps par jour depuis le début d’année, soit 10% à 20% du portage annuel sur une seule journée…
Tout ceci milite donc toujours pour le positionnement plutôt prudent sur deux niveaux que nous avions adopté en début d’année afin que le portage compense a minima sur 6-12 mois la volatilité potentielle :
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Une maturité moyenne plutôt courte ; le portage étant quasi identique sur toutes les maturités, il y a peu d’intérêt à s’engager sur des maturités longues qui augmentent de facto l’incertitude et la volatilité d’un portefeuille
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Une qualité de crédit intermédiaire, plutôt plus élevée qu’en début 2023, les marchés étant plus sensibles à toute mauvaise nouvelle, révision de résultat ou aléa.
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Une limitation, tant que possible, des secteurs les plus liés à cette incertitude sur la croissance (cycliques), la dette (foncières, recouvrement), l’inflation, la valorisation des actifs (foncières, sociétés à fort goodwill,…).
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Une granularité plutôt plus élevée qu’en 2023 car des accès de volatilité peuvent toucher même les entreprises les plus solides puisqu’elles ont souvent peu de marge en termes de valorisation, étant plébiscitées dans ces phases d’incertitude.
Par Matthieu Bailly, directeur général délégué et gérant obligataire.
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