En cette mi-février, les statistiques économiques et les banques centrales continuent de contredire le consensus de marché d’une baisse rapide et massive des taux directeurs : l’inflation ralentit moins que prévu voire repart à la hausse dans certaines zones ou certains secteurs, l’emploi se porte plutôt bien, la croissance aussi et les gouverneurs divers continuent d’asséner que les taux directeurs baisseront modérément et plutôt dans quelques mois que dans quelques semaines.
Alors les marchés s’ajustent… D’une « probabilité » de baisse de taux de la FED calculée fin décembre à 85% pour mars et quasiment 100% pour mai, on est passé actuellement à environ 10% pour mars, soit presque rien, et seulement 30% en mai…
Ces probabilités nous les avons volontairement mises entre guillemets car elles n’ont en fait que peu de sens vu qu’elles sont calculées a posteriori comme une dérivée des rendements des actifs longs – sachant que les actifs obligataires longs répondent à des logiques qui ne sont pas forcément ni des logiques de rentabilité, ni des logiques de calcul financier ; rappelons notamment que l’essentiel des obligations d’Etat, dont le prix détermine les taux longs et inversement, sont traitées par les investisseurs institutionnels, banques centrales, banques et assureurs en tête. Et ces investisseurs n’acquièrent pas tant les obligations d’Etat pour leur rendement relatif vis-à-vis des taux courts ou d’autres classes d’actifs, mais essentiellement pour des sujets de politique monétaire, d’adossement actif/passif généralement long ou d’exigence réglementaire. Au total, le graphe ci-dessous indique ainsi que la somme de détention de ces investisseurs ‘Eurosystem + assureurs (nommés ici ICPF) + banques’ totalisent environ 80% du marché des obligations d’Etat, dont 40% pour la BCE…
Le « marché » calcule donc son consensus sur les hausses ou baisses de taux de la BCE en fonction de prix d’obligations d’Etat définis à 80% sur les obligations longues par des investisseurs qui ne les achètent pas pour la réalisation d’un scénario financier mais pour répondre à une contrainte qui leur est propre, généralement d’ordre réglementaire, ou pour simplement injecter des liquidités dans le système. On pourrait donc en conclure que ce consensus n’a qu’à peu près 20% de crédibilité… Et c’est d’ailleurs bien ce qu’on observe depuis plusieurs mois, même si, évidemment, il finira bien par avoir raison de temps en temps, sans doute une fois sur cinq environ !
Les semaines se suivent donc en termes de volatilité sur les taux avec une tendance certaine à la hausse des taux longs comme en témoigne le graphe ci-dessous du taux allemand à dix ans, ce qui a entraîné une surperformance notable, ces dernières semaines, des fonds d’obligations d’entreprise de maturité courte car 1/ ils bénéficient d’un plus fort portage, 2/ d’une sensibilité plus faible ; positionnement que nous défendons depuis mi-décembre et que nous conservons pour le moment.
Sur le crédit, nous noterons cette semaine deux évènements qui relèvent plus de l’anecdote à l’échelle des marchés mais viendront rappeler qu’un investisseur obligataire ne devrait accorder que peu de crédit aux agences de notation et que les banques allemandes restent les plus agressives et parmi les moins fiables de la Zone Euro, n’ayant que très peu tiré les leçons de 2008, qui leur avaient pourtant coûté relativement cher…
Sur les agences de notation :
Ce lundi, alors que les obligations Atos avaient déjà sombré depuis plusieurs semaines et cotaient sur des niveaux de restructuration relativement dure ou de défaut, entre 20 et 30% du nominal en fonction des maturités, S&P a annoncé réviser la note de B- à CCC avec une perspective négative, indiquant dans son communiqué que le groupe pourrait rencontrer des difficultés de liquidité dans les 12 prochains mois pouvant conduire à une restructuration voire à un défaut…
C’est donc plus l’énoncé d’une évidence qu’une analyse qu’a livré l’agence et on peut surtout s’étonner qu’elle ait maintenu une note de B- jusqu’à présent, c’est-à-dire la même note que des obligations comme Loxam, Verisure ou Elior, toujours largement solvables, alors même qu’un mandataire ad hoc était nommé la semaine passée, que des retards de paiement sont déjà survenus sur des fournisseurs et des bailleurs, que Monsieur Mustier, nouveau patron d’Atos préparait un recours auprès du Tribunal de commerce de Nanterre il y a déjà un mois…
Mais encore, s’il s’agissait seulement d’un retard de quelques jours alors que la situation s’emballe, on pourrait le tolérer, trouvant une certaine logique à ce qu’une institution comme S&P ait une certaine inertie pour publier… Mais en réalité les retards les plus longs et les plus dangereux pour les investisseurs, encore sur ce dossier, se produisent souvent bien en amont de ces paniques de fin de parcours. Pour illustration, voici le graphique parallèle des cours des obligations Atos, des actualités majeures représentant des signaux importants de mauvaise santé et des notations de l’agence S&P.
Par Matthieu Bailly, directeur général délégué et gérant obligataire.
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