L’essor de la gestion passive, au détriment de la gestion active, pose de nouveaux problèmes aux entreprises, notamment celles de petite et moyenne taille (« midcaps »).
En 15 ans, les encours de la gestion passive sont devenus aussi importants que ceux de la gestion active, que ce soit aux États-Unis ou en Europe. Ce phénomène, tant qu’il continue, exerce une pression baissière sur les cours de bourse, et donc la valeur, des midcaps.
Alors que la gestion passive est, par construction, surpondérée sur les grandes capitalisations, la gestion active est dans l’ensemble sous-pondérée. À l’inverse, la gestion active tend à surpondérer les midcaps alors que la gestion passive les sous-pondère. Ainsi, à chaque fois que cent euros sortent de la gestion active pour être réinvestis en gestion passive, un léger déséquilibre offre / demande se crée. Il y a un peu plus d’acheteurs que de vendeurs sur les grandes capitalisations et un peu plus de vendeurs que d’acheteurs sur les midcaps. Il y a donc une légère pression acheteuse sur les grandes capitalisations et vendeuse sur les midcaps.
Si ce phénomène se répète régulièrement sur plusieurs années, tout chose égale par ailleurs, il mène à une lente érosion des cours de bourse des midcaps et réduit leur attractivité. En somme, les midcaps naviguent vent de face alors que les grandes capitalisations ont le vent dans le dos.
Cette situation engendre une divergence progressive entre la valeur intrinsèque des entreprises midcap et leur valeur boursière. A terme, cela finit par avoir des conséquences sur la vie réelle de l’entreprise : difficultés accrues d’acquisition par actions avec une « monnaie » dépréciée, risque de motivation chez les salariés face à un cours de bourse en berne, perte d’attractivité auprès de nouveaux actionnaires qui ne voient pas « l’acheteur marginal » qui permettra de revaloriser leur investissement.
Chacun peut évidemment espérer que la gestion passive se mette à stagner, voire décliner, pour que la situation s’améliore. Mais le timing d’un tel scénario est incertain et d’ici là c’est au conseil d’administration de se saisir de ce sujet.
Une des prérogatives les plus importantes pour un conseil est l’allocation du capital. Sur une période de 5 ans, une société bien gérée peut doubler ses fonds propres. L’utilisation intelligente (ou pas) de cette manne financière détermine la création (destruction) de valeur pour l’entreprise, ses collaborateurs et ses actionnaires.
Quand le cours de bourse est inférieur à la valeur intrinsèque de l’entreprise, une fois que les investissements ont été faits pour fidéliser les salariés, pérenniser le projet industriel de l’entreprise et renforcer son positionnement concurrentiel, le rachat d’actions devient la meilleure allocation possible du capital. Du point de vue de l’entreprise, c’est comme racheter une société que l’on connaît parfaitement à un prix très attractif. L’alternative serait une acquisition d’une entreprise « externe », nécessairement moins bien connue, et à un prix bien plus élevé, une décision intrinsèquement plus risquée.
Du point de vue des actionnaires existants, leur participation dans l’entreprise augmente sans qu’ils aient à débourser d’argent supplémentaire. Enfin, du point de vue des actionnaires potentiels, le rachat d’actions envoie deux signaux importants. Premièrement, le conseil (« insider ») estime que l’entreprise est sous-évaluée, deuxièmement, malgré les flux sortants liés à la gestion passive, il y a un acheteur important et régulier.
Malheureusement, cette problématique ne semble avoir été abordée que superficiellement. Pire, c’est ceux qui en ont le plus besoin qui en font le moins. Au sein des grandes capitalisations, 22% en Europe et 31% aux US ont fait des rachats d’actions en 2024 contre seulement 11% en Europe et 2% aux US pour les midcaps.
Il est grand temps que les conseils d’administration réagissent. Il est des cas où, compte tenu de la situation financière, des perspectives ou de la valorisation de l’entreprise, le rachat d’actions ne sera pas pertinent. Mais il en est d’autres où il n’est actuellement pas ou pas assez utilisé alors qu’il s’impose comme la meilleure solution de création de valeur, pour toutes les parties prenantes. Dans ces cas-là, le conseil doit assumer sa responsabilité d’allocation du capital et agir avec détermination.
Tribune rédigée par Laurent Chaudeurge, Responsable ESG et Porte-Parole de la Gestion de BDL Capital Management
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