L’action en revendication de la propriété indivise et en contestation des actes passés en violation de ce droit est un acte conservatoire qu’un indivisaire peut accomplir seul, selon l’analyse de Florence Gall-Kiesmann publiée aux éditions Francis Lefebre. Peu importe que son coût soit exorbitant pour les indivisaires.
Dans les années 1970, trois sociétés lient leurs terrains respectifs et y font édifier un ensemble immobilier de 14 000 logements avec les équipements collectifs nécessaires, dont un système de chauffage urbain. Jusqu’en 1987, l’une d’elles se charge de la gestion du réseau de chauffage. Puis, ces installations font l’objet de plusieurs opérations avec différentes sociétés : prêt à usage, conventions de transfert de l’exploitation du réseau et cession. Plusieurs syndicats de copropriétaires de l’ensemble immobilier et trois copropriétaires agissant à titre individuel revendiquent alors la propriété indivise des installations de chauffage. Ils réclament aussi l’annulation ou la déclaration d’inopposabilité des conventions conclues sans leur consentement.
La cour d’appel rejette leurs prétentions. Ces demandes ne constituent pas de simples actes conservatoires tendant seulement à faire valoir des droits. En raison de l’importance des installations litigieuses, des frais à venir occasionnés par ces prétentions et des procédures en cours, ces demandes ne ressortissent pas à l’exploitation normale d’un bien indivis et relèvent donc de la règle de l’unanimité des indivisaires (C. civ. art. 815-3).
Cassation. L’action en revendication de la propriété indivise et en contestation d’actes conclus sans le consentement des indivisaires a pour objet la conservation des droits de ceux-ci. Elle entre donc dans la catégorie des actes conservatoires que chacun d’eux peut accomplir seul (C. civ. art. 815-2).
À noter : Pour la gestion des biens indivis, il est exigé (C. civ. art. 815-3 et 815-2) :
- la majorité des 2/3 des droits indivis pour les actes d’administration, c’est-à-dire ceux qui relèvent de l’exploitation normale du bien;
- l’unanimité pour les actes de disposition et les actes d’administration qui ne relèvent pas de l’exploitation normale ;
- aucune majorité pour les mesures conservatoires, celles-ci pouvant être prises par un seul indivisaire.
Les mesures conservatoires se définissent comme des actes matériels ou juridiques ayant pour objet de soustraire le bien indivis à un péril imminent sans compromettre sérieusement le droit des indivisaires (Cass. 3e civ. 25-1-1983 n° 80-15.132 : RDI 1983 p. 427 obs. J.-L. Bergel). Des actions visant à défendre la propriété du bien ont été admises comme des actions conservatoires. Ainsi jugé à propos :
- d’une action en revendication d’un bien indivis dont un tiers se prétend propriétaire (Cass. 3e civ. 17-4-1991 n° 89-15.898 : Bull. civ. III n° 124, RJDA 1991 n° 529, Defrénois 1992 p. 233 note M. Beaubrun).
- d’une action visant à constater l’aggravation d’une servitude de passage grevant l’immeuble indivis (Cass. 3e civ. 4-12-1991 n° 89-19.989 : Bull. civ. III n° 124, RDI 1992 p. 301 obs. J.-L. Bergel).
Cela dit, il est admis que l’acte conservatoire doit avoir une portée raisonnable, notamment au regard de son coût (critère généralement rappelé pour les actes matériels ; par exemple à propos de la réparation d’une toiture à condition que son coût reste raisonnable : Cass. 1e civ. 11-6-1996 n° 94-18.382). Or, pour la cour d’appel, c’est là le point d’achoppement : si l’action en revendication devait aboutir, les copropriétaires auraient à assumer la très lourde charge que représentent la gestion et l’entretien d’un chauffage urbain. L’importance de cette charge ainsi que le coût des procédures ont conduit les juges du fond à qualifier l’action d’acte d’administration ne relevant pas de l’exploitation normale.
Au contraire, selon la Cour de cassation, la protection de la propriété relève toujours de l’acte conservatoire, quelles qu’en soient les conséquences, notamment financières. Ainsi, les actions en revendication de la propriété et celles en annulation des actes passés au mépris de cette propriété peuvent être engagées par un indivisaire seul.
Faut-il comprendre que l’exigence d’une « portée raisonnable » est abandonnée pour tout acte conservatoire ? Nous ne le pensons pas. La position radicale des Hauts Magistrats s’explique par le droit , de valeur constitutionnelle, qui était en jeu : la propriété. Nul doute qu’un indivisaire ne pourrait pas, sans l’accord de ses cohéritiers, décider de remplacer les vieux robinets fuyant de la maison héritée par une plomberie en or !
Par Florence Gall-Kiesmann