Si la Banque centrale européenne (BCE) est intervenue via des programmes de relance monétaire lors des précédentes crises sur les marchés, tous les regards seront désormais tournés vers Christine Lagarde jeudi prochain lors de la réunion de la BCE compte tenu de la récente aggravation de la situation du COVID-19 et de la réaction des marchés qui en a découlé. Selon Wolfgang Bauer, gérant au sein de l’équipe Taux M&G, trois options s'offrent à la BCE cette semaine : le statu quo, une réaction mesurée ou le bazooka.
Option n°1 : Maintien du statu quo
Dans ce scénario, la BCE reconnaît simplement l’augmentation des risques causés par le COVID-19 sur les perspectives économiques et l'inflation à moyen terme dans la zone euro, mais s'abstient de modifier l'orientation de sa politique monétaire, qui est déjà très accommodante. Le principal taux de dépôt est maintenu à -0,5 % et les volumes d'achat nets dans le cadre du programme d'achat d'actifs (APP) continuent de fonctionner à un taux mensuel de 20 milliards d'euros. La raison de ce statu quo est que la politique monétaire seule ne suffira pas et que la responsabilité incombe avant tout aux gouvernements et à l'assouplissement budgétaire. Se précipiter prématurément dans des mesures d'urgence monétaire pourrait en fait être contre-productif. Le passage de la BCE en mode alarmiste pourrait très bien effrayer davantage les marchés. De plus, le taux de dépôt de la BCE étant déjà très largement négatif, limitant donc la portée de nouvelles baisses de taux par rapport aux autres banques centrales, la BCE pourrait conclure qu'il est préférable à ce stade de garder ces ressources pour pouvoir agir de manière décisive plus tard, en cas d’aggravation de la situation du COVID-19.
Bien qu'il puisse y avoir des raisons valables à cette approche "business as usual", ce scénario semble peu probable. Les attentes du marché concernant une nouvelle stimulation monétaire de la part de la BCE sont élevées. La BCE n'est bien sûr nullement obligée de satisfaire les attentes du marché. Mais éviter la baisse de taux tant attendue pourrait alimenter une nouvelle crise sur les marchés, ce que la BCE tente d’éviter. Deuxièmement, dans un monde où d'autres banques centrales – telles que la Fed, la Banque d'Australie ou la Banque du Canada - ont décidé de réduire les taux en réponse au COVID-19, la BCE pourrait rapidement devenir "l'intrus" en maintenant les taux stables, exerçant alors une pression supplémentaire à la hausse sur l'euro. La monnaie s'est déjà appréciée de près de 6 % par rapport au dollar américain depuis la mi-février. La poursuite du renforcement de l'euro constituerait un nouveau frein pour les entreprises européennes axées sur l'exportation - et, par extension, pour l'économie de la zone euro dans son ensemble - qui souffrent déjà de l'affaiblissement de la demande et de la rupture de la chaîne d'approvisionnement provoqués par le COVID-19. Si le mandat de la BCE n'implique pas de gérer activement la solidité de l'euro sur le marché des changes, mettre un terme à la hausse récente de l'euro serait un effet secondaire souhaitable de cette baisse des taux, et pourrait contribuer à faire progresser l'inflation européenne vers son objectif grâce à la hausse des prix des importations.
Option n° 2 : La réponse mesurée
Dans ce scénario, la BCE réduit les taux d'intérêt de manière limitée, disons 10 points de base (pb). Cela porterait le taux principal des dépôts à un nouveau plancher record de -0,6 %. Simultanément, les achats nets d'actifs seraient portés aux alentours de 60 milliards d'euros, voire 80 milliards d'euros par mois. Cela représenterait un triplement ou un quadruplement des volumes d'achat par rapport au niveau actuel de 20 milliards d'euros.
C'est peut-être le scénario le plus probable, mais sans doute le moins souhaitable, qui réunirait le pire des deux mondes. Une action politique modérée de la BCE, si elle n'est pas accompagnée d'une relance budgétaire substantielle, ne suffira probablement pas à insuffler une confiance durable aux marchés qui viennent de subir une réduction de 50 points de base de la part de la Fed. Le sentiment « risk off » pourrait facilement dégénérer en une véritable crise des marchés. La BCE aurait épuisé une partie de ses munitions, limitant ainsi la portée de toute action politique d'urgence supplémentaire qui pourrait s’avérer nécessaire si l'impact économique négatif de l'épidémie de COVID-19 dépassait les projections actuelles.
Option n° 3 : Le gros bazooka
L’objectif étant de recréer un "Whatever it takes" destiné à rassurer immédiatement les marchés et à éviter une panique généralisée chez les investisseurs qui, si elle n'est pas contrôlée, pourrait compromettre la stabilité du système financier et, en fin de compte, menacer l'économie réelle. Dans ce scénario, la BCE agit courageusement tant en termes de taux d'intérêt que d'achats d'actifs. Les taux sont réduits d'au moins 25 points de base, ce qui porterait le taux de dépôt de la BCE à -0,75 % et donc en ligne avec le taux directeur de la Banque nationale suisse. En outre, les volumes d'achat d'APP sont augmentés au-delà de 80 milliards d'euros par mois, peut-être jusqu'à 100 milliards d'euros. Cependant, certaines modifications du fonctionnement des APP pourraient être nécessaire pour signaler au marché que la BCE dispose encore d'une grande puissance de frappe pour augmenter les achats d'actifs à l'avenir si nécessaire.
Aussi convaincante qu'elle puisse sembler, cette stratégie est très risquée. Si elle fonctionne et qu'une véritable crise - tant sur les marchés que dans l'économie réelle - peut être évitée grâce à une action décisive de la BCE dès le début, Christine Lagarde deviendrait immédiatement une icône parmi les banquiers centraux. Toutefois, si elle n'est pas accompagnée d'un assouplissement budgétaire concerté, l'approche bazooka pourrait aussi se retourner rapidement contre elle. Si les mesures restent lettre morte, que les marchés continuent de s'effondrer et que la transmission des mesures de relance monétaire à l'économie réelle échoue, la BCE ne pourrait pas faire grand-chose de plus à l'avenir. Et les marchés sauraient que la BCE - et les autres banques centrales - sont au bout du rouleau.
Christine Lagarde n’a pas une position facile cette semaine car la BCE est prise entre le marteau et l'enclume. L'inaction ou toute mesure timide pourrait entraîner une nouvelle détérioration de la stabilité des marchés qui pourrait bientôt se transformer en une véritable crise, affectant à la fois les marchés financiers et l'économie réelle. Mais « tout donner » pour stimuler l'économie et rassurer les investisseurs avant que la situation ne s'aggrave davantage, augmente le risque qu’elle n’ait plus marge de manœuvre par la suite. Pour les investisseurs, naviguer sur les marchés va être un exercice délicat. Étant donné qu'il n'y a pas de voie évidente à suivre pour la BCE - ni pour aucune autre banque centrale d'ailleurs - il est risqué de miser sur un résultat particulier de la politique monétaire.
Par Wolfgang Bauer, Gérant Obligataire
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