Alors qu’approche la fameuse trêve des confiseurs, traditionnellement reposante pour les investisseurs et peu propice aux transactions tant l’illiquidité devient significative, la crise du covid continue de diffuser, certes plus insidieusement qu’en début d’année, ses effets dans l’économie, les marchés et les entreprises.
Toujours à la manœuvre, les banques centrales continuent leurs injections, dont on savait dès les premières annonces qu’elles se feraient toujours plus massives au fil des mois, tant le risque systémique et les besoins des gouvernements pour leurs programmes de soutien sont importants. Encore cette semaine la BCE annonçait 500 milliards d’euros complémentaires à son programme de rachats sans provoquer la moindre surprise, alors qu’une telle annonce il y a quelques années eût provoqué un rallye boursier immédiat.
A l’autre bout de la chaîne financière, les investisseurs, désormais résolument convaincus que les taux resteront très bas, très longtemps, continuent leurs emplettes, reportant la fameuse inflation espérée par les banques centrales des biens de consommation vers les actifs en tout genre. Et on entend désormais une pléthore d’analystes expliquer que des rendements de 2% à 3% sur les actions sont tout à fait légitimes dans la mesure où les taux sans risques sont à zéro, voire même négatifs.
S’il est effectivement logique que les investisseurs choisissent, en partie, leurs investissements en relatif les uns face aux autres, n’oublions tout de même pas que la rentabilité absolue doit rester un chiffre important pour un investisseur :
- Premièrement parce que la plupart des investisseurs ne « shorte » pas les actifs trop peu rentables, étant donc investisseur « absolu » et non « relatif »
- Deuxièmement parce que le risque intrinsèque des actifs risqués n’a lui pas spécialement baissé depuis que les taux ont baissé : volatilité, liquidité, risque actionnarial, etc…
- Enfin troisièmement, mettre en relation une action d’entreprise et une obligation d’Etat pour en comparer les rendements n’a qu’un intérêt limité puisqu’il ne s’agit pas du tout du même risque… Le premier est spécifique à une entreprise et à sa croissance et n’est pas garanti, le deuxième est systémique et ‘garanti’ par la banque centrale…
Nous noterons d’ailleurs qu’après le rallye de novembre, lié aux nouvelles majeures du vaccin et de l’élection américaine, les investisseurs sont retournés plus significativement sur les actifs directement liés aux banques centrales, à savoir les obligations, tandis que les actions, actifs non achetés par les banques centrales américaine et européenne (pas encore, pourrions-nous dire…) ont retrouvé un peu plus de volatilité et ont mieux reflété l’incertitude économique.
Ainsi comme nous le disions dans quelques hebdos passés, si nous ne légitimons pas forcément la politique ‘à tout prix’ des banques centrales, dangereuse à long terme, nous devons reconnaître que les obligations retrouveront :
- Des taux quasi nuls d’ici quelques mois sur l’ensemble du spectre investment grade, ce qui est déjà quasiment le cas, à quelques exceptions près que nous nous chargeons chaque jour de trouver
- Et des taux de 1 à 2% sur le fameux segment « crossover », nouveau venu cette année dans les programmes des banques centrales, en tant que collatéral notamment, et dont le faible encours est un argument très fort de resserrement pour les mois à venir.
Cette conclusion peut paraître aujourd’hui excessive, beaucoup d’observateurs considérant que les entreprises « high yield » ont un risque important, mais ce n’est guère le sujet des banques centrales… Qui aurait ainsi imaginé, il y a cinq ou six ans, voir la Grèce emprunter à 10 ans à 0.6% de rendement ou le Portugal emprunter sur la même échéance à taux négatif ? C’est le cas aujourd’hui, alors même que les taux d’endettement de ces deux pays par rapport à leur PIB sont tout à fait équivalents à ceux qu’ils connaissaient durant la crise des périphériques en 2011-2012…
Et quand on voit l’endettement de la France à ce jour, on se dit que finalement, les périphériques de 2012 sont devenus la norme européenne de 2020… Et que nous sommes tous des PIIGS !
Bravo donc au Portugal pour avoir rejoint cette semaine la liste des pays à taux négatif sur une maturité 10 ans, même avant l’Espagne ! Nous signalerons ici l’importance de l’encours de dette car il est évident, du strict point de vue de la qualité de crédit, que l’Espagne devrait avoir un taux d’emprunt inférieur au Portugal… Mais l’encours absolu de la dette du Portugal est beaucoup plus faible créant, lorsque la BCE intervient, un effet rareté propice au resserrement. Cet argument fonctionnera à plein sur la catégorie ‘high yield’ dont l’encours est minime face au marché obligataire global.
L’effet Covid continue donc de jouer sur les distorsions de rendement, provoquant, pour le moment, des effets positifs sur les portefeuilles financiers, tandis qu’il continue de jouer aussi sur les entreprises, exactement dans le même sens que tout le reste de l’année, malgré les rattrapages boursiers qu’on avait pu voir en novembre sur les secteurs les plus affectés car, pour le moment, l’activité des hôtels, restaurants ou acteurs du tourisme n’a pas vraiment rebondi, ne serait-ce que de quelques points… La bourse est toujours en avance, et cette fois de plusieurs mois…
Ainsi du côté des entreprises, nous noterons cette semaine :
- Les chiffres records de sociétés comme Synlab (laboratoires d’analyses médicales) ou Maxeda (bricolage), présentes dans les secteurs porteurs de l’année 2020
- Les perspectives catastrophiques des entreprises du tourisme comme Edreams Odigeo ou encore Air France qui prévoit de recevoir quatre à cinq milliards d’euros (après les sept milliards d’euros octroyés par crédit cet été) de l’Etat Français…
- Les effets du deuxième confinement sur les entreprises cycliques qui avaient tenu en serrant les coûts et joué sur la trésorerie la première partie de l’année. Ainsi nous noterons le cas de Douglas qui, malgré ses efforts drastiques qui lui avaient permis de faire face aux premiers mois de crise, a dû annoncer cette semaine une probable restructuration de dette courant 2021…
La lenteur de la reprise, la perte de pouvoir d’achat d’une partie de la population et le probable « stop & go » sanitaire pendant encore plusieurs mois devrait malheureusement achever de nombreuses entreprises l’an prochain, malgré tous les plans de sauvetage des gouvernements…
L'annulation du salon du Bourget en juin 2021 est d’ailleurs un signe très négatif sur le rythme de la reprise, que certains espéraient dès le début 2021 et qui pourrait n’avoir lieu, significativement, qu’en 2022.
Enfin dans les banques, nous relèverons les propos du cabinet Mc Kinsey qui, dans son « Global Banking Annual Review », anticipe un retour sur capitaux propres de 1.5% en 2021 contre plus de 8% en 2019, et une perte de revenus cumulée de plus de 4000 milliards de dollars pour l’ensemble du secteur à horizon 2024. Si nous continuons de penser que les créanciers restent mieux lotis que les actionnaires sur ce secteur géré par le risque et les régulateurs, nous noterons en complément quelques conséquences probables :
- La poursuite du principe de « value trap » sur les actions bancaires dont les valeurs de bilan devraient rejoindre les valeurs boursières actuelles plutôt que l’inverse tant espéré par les actionnaires.
- Une augmentation du coût du risque dû aux difficultés économiques de leurs clients emprunteurs
- Une accélération des concentrations, en particulier en Espagne et en Italie où le secteur bancaire est encore très granulaire
- Des restructurations massives, en particulier dans la banque de réseau
- Des dividendes en baisse ou devant être supprimés durablement, augmentant le risque des coupons de certaines obligations hybrides bancaires (cf. notre hebdo du 12 octobre 2020)
- Des ratios de fonds propres restant malgré tout solides, tant les régulateurs ont pris les devants sur le sujet, créant de multiples coussins et imposant des restrictions majeures à leurs administrées.
En conclusion, d’ici la fin d’année, nous poursuivons donc notre allocation entamée début novembre concentrée sur :
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Le segment crossover dont le potentiel de resserrement reste significatif.
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Les entreprises peu ou pas touchées par la Covid sur le segment B/CCC et dont la qualité de crédit relative et/ou absolue s’améliore
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Les subordonnées bancaires en privilégiant les titres Tier 2 de banques éligibles à la consolidation, en particulier en Italie et en Espagne, ainsi que les hybrides à coupon élevés perdant leur éligibilité aux fonds propres en 2021 (qui feront donc l’objet de calls ou d’offres de retrait)
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Les obligations bénéficiant d’un retard de resserrement de taux sur le reste du marché à cause de leur taille ou d’une caractéristique spécifique et qui offrent donc encore une prime
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Nous évitons aujourd’hui les obligations souveraines qui nous semblent avoir atteint un plateau et n’offrent plus d’effet coussin en cas de stress; la plupart des titres hybrides corporates; les obligations longues et de haute qualité dont les rendements sont quasi nuls et la possibilité de volatilité élevée; et les secteurs pleinement touchés par la Covid dont les obligations ont fortement rebondi tandis que leur risque et l’incertitude restent majeurs.
Matthieu Bailly, Octo Asset Management
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