Fin août, la Federal Reserve Bank of Kansas City conviait les banquiers centraux du monde entier à son symposium annuel à Jackson Hole dans le Wyoming. En traversant via le sud le Parc national de Yellowstone, vous passerez par Jackson Hole qui est niché au cœur d’une vallée à couper le souffle. Mais ce n’est pas ce paysage idyllique qui m’est resté en mémoire. En effet, c’est seulement en cherchant à situer Jackson Hole sur une carte au moment de rédiger ce Commentaire que je me suis rappelé être passé par là au cours d’un voyage il y a près de 30 ans. En revanche, je me souviens bien mieux de certains des discours tenus depuis le premier symposium de 1978 et des articles rédigés sur le sujet.
Par exemple en 2010, quand l’ancien patron de la Réserve fédérale Ben Bernanke avait annoncé un nouveau programme d’achat d’obligations appelé QE2 au cours de ce symposium. Ou en 2013, quand Ben Bernanke avait vendu la mèche en juin, mettant en perspective une diminution des achats obligataires (« tapering »), et avait fait l’impasse sur le symposium de Jackson Hole. L’année dernière, l’actuel (et sans doute aussi futur) chef de la Réserve fédérale Jerome Powell avait mentionné pour la première fois le concept de « ciblage d’inflation moyenne », dans le cadre duquel la banque centrale tolèrera un certain franchissement à la hausse ou à la baisse de son objectif d’inflation sans initier de contre-mesures à condition que l’inflation revienne à son niveau cible sur le long terme. L’économie américaine se trouve dans cette situation depuis mai 2021 avec des taux d’inflation de 5 %, voire plus. D’un autre côté, la Fed reste convaincue que l’inflation redescendra à 2 % l’année prochaine.
Cette année encore, la réduction des achats obligataires de la Fed (« tapering ») a monopolisé l’attention. De nombreux banquiers centraux ont fini par monter au créneau pour demander une réduction des achats d’obligations à plus ou moins court terme selon leur appréciation personnelle de la situation. Mais comme si souvent ces derniers temps, la Réserve fédérale, par la voix de son président Jerome Powell, a déçu les attentes à cet égard en ne fournissant aucun calendrier précis sur le tapering. Il a certes préparé les marchés à une réduction prochaine des achats d’obligations, mais est resté vague sur la date à laquelle les achats cesseront complètement.
Rien de surprenant donc si l’édition 2021 ne reste pas dans les annales des conférences de Jackson Hole. En revanche, les séances ordinaires de juin et septembre sont des rendez-vous importants au cours desquels la Réserve fédérale revoit ses perspectives économiques ainsi que les prévisions « dot plot » de l’évolution future des taux directeurs. À cette occasion, les banquiers centraux américains discutent notamment du rythme des achats d’obligations à venir. En conséquence, il vaut mieux ne pas manquer la prochaine séance qui aura lieu les 21 et 22 septembre, mais dont les conclusions ne sont généralement connues que le deuxième jour.
L’évolution du marché de l’emploi américain joue désormais un rôle déterminant dans le ralentissement des achats obligataires. Selon les statistiques du ministère américain du Travail, il manque encore près de 6 millions d’emplois non agricoles par rapport au niveau de février 2020. Jerome Powell a observé une reprise rapide de l’emploi, mais estime celle-ci encore insuffisante pour justifier une diminution des achats obligataires. Par ailleurs, il souligne que certaines personnes sont comptabilisées comme salariés alors que ce n’est pas le cas. Une certaine prudence de la Fed est donc compréhensible. Toutefois, une reprise plus forte que prévu du marché de l’emploi devrait déboucher sur une réduction plus rapide des achats obligataires. Le programme de rachat reste malgré tout un moteur monétaire, même avec un effet moindre, lequel se dissipera totalement avec le dernier achat. Même si les achats obligataires de la Réserve fédérale ne sont qu’un facteur de l’évolution des rendements à long terme, ils contiendront pendant un certain temps la hausse des taux d’intérêt induite par l’augmentation des anticipations d’inflation.
Bien évidemment, en agissant de la sorte, la banque centrale américaine risque aussi d’être contrainte de procéder à un durcissement monétaire beaucoup plus important que prévu, ce qui laisse au moins augurer une pentification de la courbe des taux américaine. L’évolution future de l’inflation reste toujours aussi difficile à prédire. Parmi les facteurs responsables de la hausse actuelle des prix à la consommation (+5 %), notamment l’augmentation des prix des voitures d’occasion, du bois de construction ou des coûts de transport, lesquels vont ralentir, voire s’inverser ? Et qu’est-ce qui va perdurer ? Sans une hausse sensible des salaires et ensuite des loyers, un niveau d’inflation durablement supérieur à 2 % relève quasiment de l’impossible. L’envolée actuelle de l’inflation produira l’effet contraire l’été prochain et masquera une éventuelle tendance haussière sur le long terme. Il n’est pas donc impossible que l’inflation globale aux États-Unis redescende en dessous de 2 % l’été prochain, malgré l’accélération continue de l’inflation sous-jacente. D’un autre côté, les prévisions de la Fed pourraient se vérifier et l’inflation américaine osciller durablement autour de 2 %. Les investisseurs doivent interpréter les chiffres avec prudence. L’incertitude durable constitue aussi un motif de hausse des rendements sur l’extrémité longue de la courbe des taux américaine.
Nous attendons donc avec impatience les prochaines séances de la Fed pour savoir si le symposium de Jackson Hole de l’année prochaine restera dans l’histoire.
Par Dr. Volker Schmidt, SENIOR PORTFOLIO MANAGER
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