La dislocation du marché du gaz européen devrait entraîner l’Europe en récession et maintenir l’inflation à des niveaux élevés.
En utilisant le gaz comme une « arme » dans sa guerre contre l’Ukraine, la Russie provoque un choc d’offre brutal auquel l’Europe doit faire face.
Pour au moins deux raisons, le gaz est stratégique pour l’Europe :
- Le gaz représente ~20% de la consommation énergétique de l’Europe et les flux russes comptent pour la moitié de la consommation de gaz européenne.
- Le gaz influe directement sur les prix de l’électricité en Europe. Une fois les capacités électriques provenant des énergies renouvelables saturées, le gaz est alors utilisé pour satisfaire la demande résiduelle. Le prix marginal de l’électricité est donc basé sur le prix du gaz.
Les problèmes sur le gaz remettent en cause tout le système énergétique européen et entrainent une grande incertitude. Pour des raisons de maintenance, la Russie vient d’arrêter les flux provenant de Nordstream 1, son plus grand gazoduc, pour une durée indéterminée. Les prix du gaz ont fortement monté à la suite de cette décision. Ils sont sept fois plus élevés qu’il y a un an. Cela traduit l’inquiétude que Nordstream 1 ne soit pas remis en marche, ce qui signifierait un arrêt quasi-total des flux russes à destination de l’Europe.
Face à ce scénario, l’Europe tente de compenser en augmentant ses importations de LNG et en maximisant les flux venant des gazoducs Norvégiens et Nord Africains. Mais la marge de manœuvre est limitée. C’est bien un choc d’offre sans précédent auquel l’Europe doit faire face.
Si la flexibilité de l’offre est limitée, il faut répondre au problème par la demande. La production industrielle doit baisser mais la consommation des ménages aussi car elle représente près de 50% de la demande en hiver.
Nous voyons plusieurs industries qui commencent à réduire leur production : les producteurs d’ammoniac comme le norvégien Yara, les producteurs d’hydrogène et de papier. Pour des industries dont l’intensité énergétique est élevée, la situation devient précaire. Nos discussions avec des experts et les équipes de direction des entreprises indiquent que beaucoup de sociétés se sont couvertes, en partie, à des prix du gaz raisonnables jusqu’en 2023. Mais au prix du gaz actuel, aucune entreprise ne souhaite se couvrir sur des maturités plus longues, cela représenterait un trop gros risque si les prix venaient à baisser. L’incertitude est donc très élevée d’autant que certaines entreprises doivent faire face à des appels de marge et rencontrent des problèmes financiers. C’est le cas de l’énergéticien finlandais Fortum, à cause de sa filiale allemande Uniper. Cette réduction de capacité et ces difficultés financières amplifient le choc d’offre. Comme ils l’avaient fait pendant la crise COVID, les Etats devront probablement intervenir en octroyant des prêts aux entreprises les plus en difficultés.
Du côté des ménages, il nous semble peu réaliste, politiquement, d’imposer une baisse significative de la température de chauffage en hiver. Au contraire, les premières mesures annoncées visent à protéger le consommateur en appliquant un plafond aux prix de l’énergie. Cette décision a cependant pour conséquence de retarder l’ajustement de la demande et de contribuer à maintenir des prix du gaz élevés. Mais si aucune mesure n’est prise, l’impact sur le budget des ménages sera significatif. On estime que pour un foyer anglais, la facture énergétique passera à £3500 par an en octobre, plus de trois fois le coût de l’année précédente. En Belgique, sur les prix actuels, la facture passerait à 8000 euros si les ménages ne réduisent pas leur consommation.
Pour résumer, nous tirons les enseignements suivants de la situation actuelle :
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L’Europe subit un choc d’offre inflationniste majeur qui implique une baisse de la demande énergétique pour y faire face.
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La baisse de la demande passe par un rationnement de la production industrielle et une baisse de la consommation des ménages.
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Cette nécessaire contraction augmente sérieusement le risque d’une récession en Europe dans un contexte inflationniste.
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La BCE a des moyens limités pour agir car elle a enclenché un cycle de hausse des taux pour maîtriser l’inflation persistante. Il reste les Etats qui devront déployer des plans d’aide importants pour réduire les risques de récession. Cela se soldera par un endettement public encore plus élevé.
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La réactivation des flux russes à un niveau raisonnable permettrait d’enrayer cet engrenage mais c’est une hypothèse qui nous semble peu probable. Le scénario le plus réaliste est une récession dans un environnement inflationniste. L’ampleur de la situation dépendra de la réponse des gouvernements européens.
Tribune rédigée par Laurent Chaudeurge, Responsable de l’ESG
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