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On connaît le succès des sociétés civiles et on constate un nombre significatif de transmission de leurs parts, soit à titre onéreux, soit à titre gratuit.
1. Les cessions entre vifs
Une cession de parts sociales s’exprime dans un contrat qui doit réunir toutes les conditions de validité requises par la loi, notamment l’existence d’un consentement libre et éclairé exempt de dol. Si les parts constituent des biens communs, l’époux associé, selon l’article 1424 du Code civil, ne peut procéder à la cession ni recevoir les capitaux provenant de la cession sans l’accord de son conjoint. À défaut, la nullité est encourue, en application de l’article 1427 du Code civil. La même sanction frappe cette fois, en cas d’emploi de biens communs, l’acquéreur qui n’aviserait pas son conjoint de l’opération et qui ne justifierait pas de cette information dans l’acte de cession [1].
Un régime propre à la société civile concerne la procédure d’agrément de l’acquéreur. La cession conclue, encore faut-il respecter les formalités prévues par la loi.
A - La société et l'agrément de l'acquéreur
Il importe d’en définir le domaine avant d’en examiner la procédure, en précisant que l’agrément requis joue comme condition suspensive de la cession.
1°) Domaine
C’est l’article 1864 du Code civil qui fixe le domaine de l’agrément en ne brillant pas par ses qualités rédactionnelles. Ce qu’il faut d’abord retenir, c’est le caractère d’ordre public de l’agrément en cas de cession des parts à un tiers. Pour le reste, les prévisions statutaires autorisées par l’article 1864 peuvent donner lieu à toute une série de combinaisons :
- Dispense d’agrément pour les cessions au profit d’associés ou au conjoint de l’un d’eux ;
- Soumission à l’agrément des cessions consenties à des ascendants ou descendants du cédant.
Il faut noter que le juge, en raison de l’intuitu personae particulièrement prononcé de la société civile, entend largement la notion de « cession ».
Sont ainsi soumis à agrément les donations, apports, échanges. Il en va de même en cas de liquidation de communauté. Un arrêt de la Cour d’appel de Dijon le rappelle cruellement : une ex-épouse se voit attribuer des parts sociales dont était titulaire son ex-époux. L’attributaire souhaite ensuite revendre les parts et sollicite l’agrément de la société. Les juges observent l’absence de disposition statutaire et d’agrément, nient à l’intéressé la qualité d’associé et déclarent inopposable à la société civile la transmission litigieuse. En restant sur le terrain de la liquidation de communauté, il faut souligner qu’aujourd’hui, la Cour de cassation juge que l’époux souscripteur de parts sociales pendant le mariage ayant seul la qualité d’associé, ces parts ne sont entrées en communauté que pour leur valeur patrimoniale et ne peuvent que lui être attribuées lors du partage [2], sauf, à l’évidence, accord des parties et, selon le cas, agrément de la société. On considère enfin que les cessions portant sur la nue-propriété ou l’usufruit relèvent de l’agrément.
2°) Procédure d’agrément
Les statuts peuvent donner compétence aux associés ou au gérant [3]. Dans le premier cas, l’unanimité est requise mais les statuts peuvent fixer une majorité qu’ils déterminent.
La procédure elle-même est convenablement réglementée par la loi [4]. La société a un délai de six mois pour se prononcer et pour présenter, le cas échéant, une offre de rachat [5], étant précisé que les statuts peuvent moduler le délai entre un mois et un an [6]. À défaut de la réponse de la société, l’agrément est réputé acquis. En cas de refus d’agrément, le cédant a droit au rachat de ses titres selon les modalités de l’article 1862 du Code civil. Lorsque plusieurs associés expriment leur volonté d’acquérir, ils sont réputés acquéreurs à proportion de leur détention dans le capital. À défaut, la société peut faire acquérir les parts par un tiers, voire opérer par réduction de capital. Le cédant est informé des modalités de rachat. En cas de contestation sur le prix, celui-ci sera fixé selon les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil, le tout sans préjudice du droit du cédant de conserver ses parts [7].
En dehors de prévision statutaire, le juge a dû préciser qu’en cas d’agrément, l’article 1862 du Code civil n’institue pas un droit de préemption au profit des associés mais organise seulement le rachat des titres en cas de refus d’agrément. Enfin, doit-on justifier le refus d’agrément ? Le refus d’agrément est une décision qui n’a pas à être motivée ; les tiers évincés ne peuvent en effet invoquer aucun droit acquis à entrer dans la société. En réalité, est-on en présence d’un droit discrétionnaire ou d’un droit contrôlé pouvant être sanctionné par la théorie de l’abus ? Sous réserve de l’existence d’une intention de nuire, on doit considérer que le refus d’agrément reste un droit discrétionnaire.
3°) Sanction du défaut d’agrément
En cas de cession opérée sans respecter la procédure d’agrément, la nullité est encourue pour non respect de la loi et des statuts. Toutefois, la jurisprudence réserve l’action en nullité aux seuls associés et à la société, ce qui interdit au cédant ou au cessionnaire d’agir sur ce fondement. La solution doit être approuvée ; l’agrément protège la société et les associés.
B - L'opposabilité de la cession
L’opposabilité aux tiers résulte tout d’abord du respect des formalités destinées à rendre opposable la cession à la société : signification par huissier ou acceptation par acte authentique [8] ou transfert sur les livres de la société si les statuts l’autorisent [9].
La publicité au Registre du Commerce et des Sociétés est accomplie, par dépôt en annexe au RCS, de deux copies de l’acte de cession s’il est notarié ou de deux originaux s’il est sous seing privé.
2 - La transmission à cause de mort
Le droit des sociétés civiles comporte, dans ses articles 1870 et 1870-1, un dispositif particulièrement riche en potentialités pour faire le choix des héritiers du défunt rentrant ou non dans le cercle des associés par le jeu de clauses statutaires appropriées. La décision appartient soit au défunt, soit aux associés survivants.
A - Le choix du défunt quant aux associés de la société civile
1°) La continuation avec les seuls associés survivants
En application de l’article 1870 du Code civil, par une clause des statuts qui peut être insérée lors de la constitution ou pendant la vie de la société, par le jeu d’une décision collective extraordinaire, il peut être stipulé qu’en cas de décès d’un associé, « la société continuera avec les seuls associés survivants ».
2°) La continuation avec les seuls associés ou des tiers
Toujours sur le fondement de l’article 1870 du Code civil, « il peut être également convenu que la société continuera, soit avec le conjoint survivant, soit avec un ou plusieurs des héritiers, soit avec toute autre personne désignée par les statuts ou, si ceux-ci l’autorisent, par disposition testamentaire [10].
Par le jeu d’une clause statutaire, le défunt peut ainsi choisir, soit de façon ostensible dans les statuts, soit secrètement par un testament, fort utile pour éviter, de son vivant, l’apparition de dissensions familiales, ceux qui seront appelés à devenir, à son décès, associés de la société.
B - Le choix des associés par le jeu de l'agrément
Le régime juridique de l’agrément résulte de l’article 1870 du Code civil selon lequel : « la société n’est pas dissoute par le décès d’un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu’ils doivent être agréés par les associés ». Il importe de souligner que l’article 1870 du Code civil est parfaitement autonome au regard des textes du Code civil visant l’agrément en matière de cession, à savoir les articles 1861 et suivants.
Les conditions d’agrément des héritiers doivent être précisées dans les statuts. En l’absence de clauses statutaires, il convient, à notre avis, de transposer aux mutations par décès les solutions retenues pour l’agrément des cessions entre vifs. L’article 1870, alinéa 1er du Code civil ne contient aucune indication sur les conditions dans lesquelles les héritiers ou légataires doivent être agréés. Mais l’analogie entre la situation résultant du décès d’un associé et celle résultant de la cession de parts autorise, dans le silence des statuts, à utiliser, pour les mutations par décès, les règles statutaires ou légales applicables aux cessions entre vifs.
Il résulte de ces analyses que :
- Les conditions de l’agrément résultent exclusivement des statuts ;
- En cas de silence de ceux-ci, il paraît possible, et en tant que de raison, de se référer au régime du refus d’agrément pour les cessions entre vifs.
Pour éviter toute difficulté, il est donc opportun de prévoir une clause d’agrément ad hoc dans les statuts, visant le décès d’un associé et stipulant, par exemple, que la majorité des associés survivants, représentant la moitié du capital social, les parts du défunt n’étant pas prises en compte, se prononce sur l’agrément. Force est toutefois d’observer, à la lecture des statuts de société civile, qu’il est fréquent de contempler des clauses d’agrément qui se réfèrent à la procédure d’agrément visant les cessions entre vifs.
Or, le plus souvent, en raison du nombre de parts détenues par le défunt, la majorité requise ne peut être atteinte. Bien que la loi soit silencieuse sur ce point, on devrait admettre que l’agrément pourrait être réputé acquis en cas de non indemnisation des héritiers soumis à agrément. En effet, l’article 1870-1 dispose que les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n’ont droit qu’à la valeur des parts sociales de leur auteur, valeur déterminée au jour du décès, dans les conditions prévues à l’article 1843-4, le prix étant payé, soit par la société en cas de réduction de capital, soit par les nouveaux titulaires des parts.
Article rédigé par Jean PRIEUR, Agrégé des Facultés de Droit et Professeur émérite des Universités
[1] C. civ., art. 1832-2.
[2] Cass 1ère civ. 4 juillet 2012, n° 11-13.384.
[3] C. civ., art. 1861.
[4] C. civ., art. 1861 à 1864.
[5] C.civ. art. 1863.
[6] C. civ., art. 1864.
[7] C. civ., art. 1862 in fine.
[8] C. civ., art. 1690, par renvoi C. civ., art 1865.
[9] C. civ., art. 1865 et D. 3 juillet 1978, art. 51.
[10] C. civ., art. 1870, al. 3 et C. com., art. L.223-13.
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