Avec le retour de l’inflation vers ses plus hauts niveaux depuis quarante ans dans les pays développés, les analogies avec les années 1970 vont bon train. Certaines sont tout à fait pertinentes (choc sur le prix de l’énergie, pénuries en tout genre) mais il y a un point qui diffère totalement entre la crise énergétique actuelle et celle des années 1970 : la réaction du dollar, qui s’est fortement apprécié sur les derniers trimestres.
La crise énergétique constitue un choc majeur pour certains pays
Pour les pays importateurs (respectivement exportateurs) d’énergie, la forte hausse des cours du gaz naturel, du pétrole et de l’essence a très fortement alourdi les importations (resp. a fait fortement augmenter les exportations). Par exemple, après avoir accumulé des excédents commerciaux importants pendant des années, la zone euro accumule désormais des déficits spectaculaires (plus de 40 Mds € en juillet).
Cette évolution des prix des matières premières énergétiques a des répercussions sur le marché des changes car les « termes de l’échange » (c’est-à-dire le ratio des prix à l’exportation sur les prix à l’importation) est un déterminant fondamental des taux de change sur le long terme (avec entre autres la productivité, les actifs nets détenus à l’étranger). Pour les pays importateurs nets (respectivement exportateurs nets) de matières premières énergétiques, il y a un choc négatif (resp. positif) sur les termes de l’échange, ce qui a affecté négativement (resp. positivement) leurs devises.
On a pu voir à la mi-juin que la très forte baisse des livraisons de gaz russe via la gazoduc Nordstream 1 a coïncidé avec une nette dépréciation de l’euro face au dollar, l’explication étant ainsi que la forte hausse des prix du gaz a alourdi encore un peu plus la facture énergétique de l’Europe et fortement détérioré les termes de l’échange.
Les chocs pétroliers des années 1970 avaient provoqué une chute du dollar
Dans les années 1970, les deux chocs pétroliers avaient induit une très forte détérioration des termes de l’échange pour les Etats-Unis, qui étaient alors très importateurs de pétrole, mais aussi importateurs de gaz naturel. Cela avait joué très négativement sur le dollar : sur les premiers mois de l’année 1974 et suite à la première forte hausse des prix de l’énergie, le taux de change réel effectif des Etats-Unis avait ainsi perdu plus de 5%. Lors du choc pétrolier de 1979, le dollar était dans une phase d’appréciation car la Fed avait initié sous William Willer (juste avant l’arrivée de Paul Volcker) un resserrement monétaire très vigoureux : les fed funds étaient au-dessus de 10% fin 1978, contre 6,75% en mars 1978 à l’arrivée de Miller, et surtout très au-dessus des taux d’intérêt européens ou japonais. Il n’est donc pas interdit de penser que la bonne tenue du dollar en 1979 malgré la hausse des prix du pétrole, s’explique par la politique monétaire déjà très offensive de la Fed, comparativement aux autres grandes banques centrales.
La situation actuelle est très différente sur ce plan car les termes de l’échange pour les Etats-Unis se sont fortement améliorés lors de la crise énergétique de 2021/2022, contrairement à ce qu’il s’était passé dans les années 1970. La raison en est que les Etats-Unis sont devenus récemment exportateurs nets de gaz naturel et de produits pétroliers. La forte hausse des prix du gaz naturel a ainsi beaucoup amélioré les termes de l’échange pour les Etats-Unis, à l’inverse de ce qu’il s’est passé pour l’Europe et pour le Japon. Alors que la crise énergétique des années 1970 avait été négative pour le dollar, la crise énergétique de 2021/2022 est positive pour le dollar. C’est l’une des grandes causes de l’appréciation du dollar sur les derniers trimestres.
Une autre cause de l’appréciation du dollar est relative à la politique monétaire. En effet, la Fed a durci sa politique monétaire beaucoup plus énergiquement et beaucoup plus tôt que les autres grandes banques centrales en 2022. Elle a remonté ses taux directeurs de 300 points de base depuis le début de l’année et a enclenché une politique de réduction significative de son bilan. Les autres grandes banques centrales en ont fait beaucoup moins :
- La BCE a relevé ses taux directeurs de 125 points de base et n’a pas encore enclenché de réduction de son bilan,
- La BoJ a gardé ses taux directeurs inchangés et a continué à acheter des actifs,
- La PBoC a procédé à des baisses de taux.
Ce grand écart de politique monétaire, qui rappelle celui de 1979, a contribué à renforcer le dollar : le taux de change réel effectif des Etats-Unis est ainsi revenu à son plus haut niveau depuis 1985. La parité USD/JPY est à son plus haut niveau depuis le début des années 1990 et la parité USD/CNY n’est plus très loin de ses plus hauts niveaux depuis 2008.
Cette très forte appréciation du dollar devient problématique pour un grand nombre de pays, soit car ils sont endettés en dollars, soit car ils sont importateurs nets de matières premières facturées en dollars. Certains se sont engagés dans une « reverse currency war », en liquidant rapidement une partie de leurs réserves de change pour freiner/limiter la dépréciation de leurs devises ou en remontant rapidement leurs taux directeurs. Sur les 7 premiers mois de juin, les réserves de change des pays émergents hors Chine ont baissé de plus de 500 Mds$, un rythme encore plus rapide que lors de la crise financière de 2008.
Alors que la crise énergétique actuelle suscite de nombreuses analogies avec celle des années 1970, une différence notable porte sur le comportement du dollar, qui s’est très fortement apprécié cette année. En effet, les Etats-Unis sont désormais exportateurs nets de gaz naturel et de produits pétroliers alors qu’ils étaient importateurs nets dans les années 1970. C’est un choc positif pour les termes de l’échange des Etats-Unis mais négatif pour l’Europe, le Royaume-Uni, le Japon mais aussi la Chine. Le dollar s’apprécie aussi en raison de la politique monétaire agressive par rapport aux trois autres banques centrales du monde (BCE, BoJ et PBoC). Cette appréciation brutale du dollar va peser sur l’économie américaine mais va également constituer un problème pour un certain nombre d’autres pays, soit car ils sont endettés en dollars, soit car ils sont importateurs nets de matières premières facturées en dollars. De nouveaux accords du Plaza commencent à être évoqués : cela n’est pas impossible mais le sujet ne semble pas encore être une priorité pour les grandes puissances.
Par Bastien Drut, Responsable de la Macro Stratégie Thématique
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