Il faut être honnête, la zone euro ne fait pas rêver. Cet été, la commission européenne a revu sa prévision de croissance du PIB en zone euro à seulement 0.8% pour 2023. Au 3ème trimestre, la tendance est même négative avec une baisse de 0.1% du PIB. Le contraste est flagrant avec les Etats-Unis où le PIB est en croissance de 4.9% sur la même période. Un écart abyssal.
Les marchés actions s’en tirent honorablement, l’Eurostoxx50 est en hausse de 15% depuis le début de l’année, proche des 18% du S&P500. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Sur 10 ans, la performance du S&P500 est 2 fois supérieure à celle de l’Eurostoxx 50. L’Europe est délaissée et les tendances sur les souscriptions et rachats dans les fonds actions en attestent. Il n’y a pas eu une seule semaine de souscription nette depuis le début de l’année sur les actions européennes. Les sondages auprès des investisseurs le montrent aussi. Par rapport aux 20 dernières années, il y a actuellement de fortes surpondérations sur l’obligataire et de fortes sous-pondérations sur la zone euro et sur les actions.
Mais ce désintérêt est aussi une opportunité. C’est dans la sous-pondération et l’indifférence que la surperformance se dessine. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les marchés actions européens ont de bonnes chances d’être la surprise positive de 2024.
Premièrement, l’économie européenne ralentit notamment car le déstockage des entreprises n’est pas terminé. Si les stocks ont retrouvé des niveaux raisonnables chez les fabricants, ils ont encore besoin de baisser chez les distributeurs. Nos contacts avec les entreprises nous laissent penser que cela sera terminé d’ici au 1er trimestre 2024. Comme les marchés anticipent, ce sujet ne sera bientôt plus un problème boursièrement.
Deuxièmement, pour la première fois en 2 ans, les salaires réels en zone euro sont en croissance. Entre les hausses salariales négociées et l’inflation qui ralentit, le consommateur européen va enfin voir son pouvoir d’achat s’améliorer en 2024. Cela permet d’être raisonnablement optimiste sur la demande finale, qui a minima servira d’amortisseur au ralentissement.
Troisièmement, après 18 mois de montée agressive des taux, il est très probable que la BCE s’arrête là. L’inflation « core » ralentit déjà et cela devrait continuer. La BCE restera prudente et ne baissera pas les taux rapidement, mais un arrêt de la hausse est suffisant pour stabiliser le coût du capital et enlever la pression négative sur les valorisations. C’est une bonne nouvelle car les marchés actions européens sont à des valorisations très basses. Le PE de l’Eurostoxx 50 est de 12.3x contre 21x pour le S&P5001. Les Etats-Unis sont à une prime de valorisation de 60% alors que la moyenne sur les 10 dernières années est de 25%2. Tout se passe comme si le marché européen était valorisé pour un scénario de stagflation perpétuel. Mais avec la fin du déstockage et une inflation qui se dirige vers l’objectif de 2% de la BCE, ce scénario n’est pas le plus probable.
Quatrièmement, la configuration des marchés européens est très favorable aux gestions de stock pickers et notamment aux gestions long/short. Il y de nombreux phénomènes de dispersion. Par exemple, l’écart entre les valeurs les plus chères et les valeurs les moins chères a rarement été aussi élevé. Le nombre de valeurs chères (PE>20x) est lui aussi très important. Malgré la hausse des taux, elles représentent encore 31% des marchés actions européens. Il faut remonter vers 2005-2010 pour retrouver une période avec le même niveau de taux réels et à l’époque il n’y avait que 5% de valeurs très chères. A l’inverse, il y a encore 19% de valeurs peu chères (PE<8x), ce n’était que 10% entre 2005 et 2010.
Les taux sont montés tellement rapidement, que le marché ne semble pas encore s’être adapté à ce nouvel environnement où le coût du capital est normalisé et seules de rares entreprises exceptionnelles méritent de traiter avec un PE supérieur à 20x. Du côté des valeurs peu chères, des pans entiers de la cote offrent de grandes opportunités. De très belles entreprises industrielles sont sur des multiples de PE à un chiffre car les investisseurs anticipent déjà une récession. Les banques aussi, alors qu’elles ont 3 fois plus de fonds propres qu’en 2008, traitent à un PE de seulement 6 fois.
Les taux à 0 ont constitué une aubaine pour les valeurs de croissance mais aussi pour les modèles d’affaires incertains, les entreprises non rentables et les sociétés endettées. L’ancien monde favorisait les projections à 10 ans, le nouveau monde exigera une génération de cash-flow pérenne et un bilan solide. Il est très probable que les futurs gagnants ne seront pas ceux des dernières années.
C’est dans ces moments déterminants de réajustement du marché que le stock picking et la stratégie de long/short expriment pleinement leur valeur. Le potentiel est là pour que la gestion active montre ses atouts par rapport aux ETFs. L’Europe n’a pas besoin d’afficher la croissance des Etats-Unis pour que ses marchés actions soient attractifs. Un atterrissage contrôlé de son économie suffirait. Les attentes sont prudentes, les valorisations sont faibles et les opportunités sont nombreuses. Les ingrédients sont là pour que les marchés européens soient la bonne surprise de 2024.
Tribune rédigée par Laurent Chaudeurge, Responsable de l’ESG
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