La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé la fin de ses achats d'obligations. Toutefois, l'offre d'obligations ne diminuera pas et il faudra donc de nouveaux acheteurs. Ces dernières années, les obligations sont devenues un sujet de plus en plus spécialisé pour certains investisseurs professionnels et la BCE. Les obligations pourraient-elles s'avérer intéressantes pour les investisseurs particuliers à l'avenir ? Voici l’analyse de Volker Schmidt, Gérant de portefeuille Senior chez Ethenea.
De perspectives de rendement faibles pour les emprunts d'État
Depuis quelques années, ce sont les investisseurs institutionnels qui dominent le marché obligataire. " En fin de compte, un investisseur particulier ne peut pas faire grand-chose avec des obligations à rendement négatif ", déclare Volker Schmidt. "L'investissement minimum habituel de 100 000 euros rend également les obligations peu intéressantes pour les particuliers. En revanche, les investisseurs professionnels ont continué à acheter des obligations libellées en euros pour toute une série de raisons. Certains n'ont pas d'autre choix car leur statut le leur impose, c’est généralement le cas pour les compagnies d'assurance, les fonds de pension, les fonds obligataires purs ou les fonds multi-actifs à dominante obligataire. D'autres utilisent les obligations à des fins de diversification, de couverture ou comme une source de performance". Rien que sur les cinq dernières années, les obligations libellées en euros ont connu deux vagues de forte hausse des prix : l’une en 2019, l’autre après le pic de la crise du Covid-19 en mars 2020. En 2019, les obligations ont enregistré des gains et ce même en l'absence de demande supplémentaire particulièrement forte de la part de la BCE, tandis qu'en 2020, les achats dans le cadre du PEPP (programme d'achat d'urgence face à la pandémie) y ont largement contribué, explique-t-il. Néanmoins, les portefeuilles d'obligations diversifiées ont enregistré une perte d'un peu moins de 3 % en 2021, et d'environ 8 % au cours des premiers mois de 2022.
Dans un tel contexte, Volker Schmidt estime que les perspectives de rendement pour les investisseurs particuliers sont limitées. " Les rendements des obligations souveraines allemandes à 10 ans ont sensiblement augmenté après l'annonce de la BCE quant à un ralentissement du rythme des achats d'obligations et sur le fait qu'elle n'excluait plus catégoriquement des hausses de taux d'intérêt cette année. Actuellement, elles affichent un rendement d'environ 0,9 %, soit un coupon de 0 %, et un prix d'achat d'environ 92 %. Cela reste malgré tout très faible par rapport aux niveaux historiques, et après déduction des frais d'achat et des commissions annuelles du portefeuille par la banque dépositaire, il ne reste plus grand-chose pour les investisseurs particuliers." En général, les acheteurs d'obligations souveraines privilégient la minimisation du risque au rendement à atteindre, si bien que les éventuelles pertes temporaires de cours ne constituent qu’une préoccupation secondaire. Mais des taux d'inflation élevés signifient que les rendements des obligations souveraines proches de 0 % restent majoritairement peu attrayants pour les investisseurs particuliers.
Obligations d'entreprises : des opportunités de rendement mais aussi des inconvénients potentiels
Les obligations d'entreprise offrent généralement des rendements nettement plus élevés, mais celles-ci présentent un inconvénient de taille pour les investisseurs particuliers : dans de nombreux cas, l'investissement minimum s'élève à 100 000 euros. En moyenne, les obligations ayant une notation de qualité (investment grade) et une échéance d'environ cinq ans offrent tout de même un rendement de 1,5 %. Ce taux reste cependant bas en comparaison historique. Selon Volker Schmidt, il faut accepter des pertes en qualité pour obtenir des rendements plus élevés. "Si vous êtes prêt à faire de petites concessions sur la qualité de l'entreprise, à savoir des dépenses en capital plus élevées ou des marges plus faibles, alors des rendements de 3 % sont tout à fait envisageables."
Dans l'ensemble, les rendements des investissements en obligations libellées en euros resteront probablement peu intéressants pour les investisseurs particuliers. Une opportunité éventuelle réside dans la réduction progressive des achats par la BCE. Si les achats d'obligations sont totalement stoppés d'ici l'été, les émetteurs seront plus enclins à chercher de nouveaux acheteurs. Une manière d'attirer les investisseurs pourrait être de réduire la valeur nominale. Une autre option serait de réintroduire la gestion libre des obligations souveraines allemandes, comme celle proposée par l'Agence Fédérale des Finances jusqu'en 2013. "Il se pourrait que dans un avenir relativement proche, la sympathique tortue, Günther Schild, fasse son retour pour promouvoir à nouveau les obligations souveraines allemandes", déclare Volker Schmidt. Il y voit déjà un certain potentiel. "Selon les estimations de la DZ Bank, les ménages allemands disposaient d'un patrimoine financier de 7,7 milliards d'euros fin 2021. Les émetteurs d'obligations vont se disputer cet argent et tenter de le retirer des comptes bancaires encore soumis à des intérêts de pénalité. Il est possible que cela augmente la pression sur les banques pour que celles-ci répercutent les taux d'intérêt de la banque centrale, qui augmenteront probablement cette année, sur leurs clients."
Les craintes inflationnistes poussent les investisseurs particuliers vers les actions
L'invasion de l'Ukraine par la Russie n'a provoqué qu'un exode à court terme vers les valeurs refuges et les obligations souveraines. L'inflation, que la guerre a accentuée davantage, a nettement renforcé la volonté de la BCE à relever les taux d'intérêt et accélérer le retrait de ses programmes d'achat d'obligations. "Les hausses de rendement dans un environnement de taux d'intérêt bas étant synonymes de baisse de prix pour les obligations, les investisseurs se sont rapidement délestés de leurs obligations pour revenir aux actions, qui restent la classe d'actifs la mieux valorisée aux yeux de nombreux investisseurs particuliers", explique M. Schmidt.
Il pense également que les futures hausses de taux d'intérêt et les rendements obligataires actuels dissuaderont les investisseurs particuliers à investir dans les obligations. "L'essentiel est de mettre en perspective les inquiétudes, qui sont tout à fait justifiées, quant à la poursuite de la baisse des prix. Nous sommes encore loin d'une inflation compensée par les rendements obligataires, et les rendements réels resteront négatifs."
La normalisation de la politique monétaire se reflète également au niveau des emprunts. La BCE a indiqué que l'exigence en termes de fonds propres réduits pour les banques, qui avait été introduite pour endiguer les conséquences du Covid-19 en 2020, cessera d’ici la fin 2022. Les banques sont donc déjà en train de s'y préparer et de renforcer les critères standards pour les prêts, y compris pour les emprunts hypothécaires. La BaFin (Autorité Fédérale Allemande de Surveillance Financière) va même au-delà pour les banques qu'elle supervise et a déjà relevé ses exigences en matière de fonds propres imposées aux banques, appelées coussins de fonds propres contracycliques. Des exigences spéciales concernant les prêts hypothécaires suivront en 2023. Des mesures combinées des banques centrales ne feraient que consolider davantage la faiblesse des rendements.
Par Dr. Volker Schmidt, Senior Portfolio Manager chez ETHENEA Independent Investors S.A.
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